Puissant, troublant, réaliste...
Le film tire sa force de ce qui pourrait être qualifié de longueur, mais que je qualifie d'intérêt nécessaire. En effet, la première partie du film, bien que le film ne soit pas franchement binaire, est centré quasi-exclusivement sur la psychologie du personnage principal John Grant (Gary Bond). On comprend donc son statut social, sa manière de voir les choses, ses ambitions, mais également ses craintes et ses inconnus. Notamment la campagne profonde australienne qu'il va découvrir sans envie sur le chemin des vacances. C'est grâce à cette longue découverte du personnage que l'on peut pleinement assister aux scènes qui suivront en pouvant appréhender ses réactions profondes et pas simplement imagées. Le film est également puissant par sa réalisation assez dépouillée et franche, très peu artificielle, sauf peut-être vers la fin pour rendre compréhensible la tourmente interne du personnage.
Certaines séquences sont particulièrement troublantes dans ce film, notamment la scène que tout le monde aura retenu j'imagine: La chasse aux kangourous, qui devient très vite une scène difficile à regarder, qui maintient la puissance du film et tend vers le trouble et nous perturbe autant que John l'est dans un premier temps. Une chasse aux kangourou qui fût réelle et donc sans aucun trucages, ce sont des véritables kangourous qui se font tirer dessus par des chasseurs australiens. Plus troublant encore quand John se joint à la partie pour rejoindre moralement le groupe et ne pas être exclus. Plus troublant encore quand il est expliqué que le docteur coupe les couilles de kangourous pour les manger avec du ketchup. Mais le film n'est pas troublant que pour une seule et unique scène, il l'est également avec Jeannette Hynes (Sylvia Kay), la fille d'un villageois (Al Thomas) que John rencontre et qui l'invite chez lui. Cette Jeannette a un problème avec le sexe, et peut-être un problème tout court, surtout au niveau de l'expression faciale et du relationnel (assez compréhensible, vu l'univers dans lequel elle est née).
C'est un film qui garde tout du réalisme. Au delà de la tuerie kangouresque, on se croirait dans un docu-fiction, tout paraît plausible, sauf peut-être les exagérations scénaristiques qui pousse John à ne jamais pouvoir quitter la ville (le camion qui le ramène au même endroit, et son unique dollar en poche). La psychologie des personnage est travaillée, Jock (Chips Rafferty) le chérif des alentours est un personnage plausible et intéressant. Hynes également, Dick (Jack Thompson) et Joe (Peter Whittle) collent au stéréotype qui finalement s'avère ne plus en être un. On a de la peine pour J.Grant qui n'arrive pas à s'en sortir et qui devient de plus en plus fou. Les décors, le casting et les actions des différentes scènes qui traduisent l'ennuie profond d'un village excentré sont parfaitement décrites dans ce long-métrage. On comprend le peu d'importance voué à l'argent dans ce coin là avec leur jeu fétiche le "Kips", mais également la bière et l'alcool en général qui à l'air de sortir d'un forage sous-terrain tellement elle est présente abondance dans le ville, l'alcool sucré qui permet de ne pas s'ennuyer, la chasse qui permet de s'amuser de temps à autre et de manger des couilles au ketchup. On se tape pour rire, bourré, jusqu'à s'entre-tuer. La campagne australienne ça donne envie d'aller y faire un tour pour les vacances.
Au delà de ces aspects, le film présente quelques particularités historiques intéressantes, comme son importance par exemple pour l'interdiction de la chasse aux kangourous en Australie, ou encore la perte de copies durant 20 ans, avant d'avoir une ressortie officielle en France en 2014. Mais aussi Martin Scorssese encore inconnu à l'époque qui félicite le réalisateur Ted Kotcheff durant la première à Canne (en 1971), et qui sera l'invité d'honneur à la re-projection de 2009 au Festival de Cannes.
Un film qui aura fait couler plus d'encre en 2014 qu'à sa sortie initiale en 1971 au Festival de Cannes. Et qui le mérite amplement encore aujourd'hui, pour avoir réussi à aborder un thème en apparence simple qui s'est avéré bien plus complexe qu'on aurai pu se l'imaginer.
Bonus: Hommage à Lord Nelson, évoqué dans l'article de Télérama (déjà cité).
Petite image: Lord Nelson crédité au générique