Wake in Fright (1971), réalisé par Ted Kotcheff, est un film brutal, perturbant et singulier qui dépeint la descente aux enfers d'un homme civilisé pris au piège dans l'Outback australien. Plus qu’un simple thriller ou film d’horreur psychologique, il s’agit d’un portrait féroce de la masculinité toxique, de l’isolement et de la destruction progressive de la rationalité face à une culture sauvage.


L’histoire suit John Grant, un jeune instituteur coincé dans une petite ville rurale australienne sur le chemin de ses vacances. Ce qui devait être une escale anodine à Bundanyabba, une ville minière aride, devient une immersion cauchemardesque dans un environnement de débauche alcoolique, de jeux d'argent et de brutalité masculine. La ville est presque un personnage en elle-même, un lieu où règne une atmosphère suffocante, répressive, avec des habitants pour qui les valeurs morales traditionnelles semblent avoir été englouties par la chaleur accablante et l'isolement. Le film excelle à créer cette tension palpable entre John, un homme instruit, qui se considère au-dessus de cette barbarie, et les habitants, qui incarnent la violence, l'ivresse et le chaos.


Kotcheff joue ici sur l’opposition entre la ville et la nature. L'Outback, vaste et impitoyable, reflète à la fois la solitude intérieure et l'isolement physique de Grant. Le réalisateur filme ces étendues désertiques avec un regard froid et implacable, capturant l’étouffement et l’épuisement mental auxquels John est progressivement confronté. À mesure que son séjour s'éternise, Grant abandonne peu à peu sa façade de respectabilité, succombant aux mêmes vices que ceux qu’il méprisait. Le film illustre ainsi le processus insidieux de déshumanisation.


L'une des scènes les plus controversées et discutées du film est la chasse aux kangourous, une séquence choquante par sa violence gratuite et réaliste. Au-delà de l’horreur viscérale de cette scène, elle symbolise la brutalité à laquelle John ne peut plus échapper. Ce qui rend Wake in Fright si puissant, c’est que, même dans ses moments de pur malaise, il ne cède jamais à la gratuité : chaque acte de violence, chaque goutte de sueur, chaque verre de bière participe à une déconstruction méthodique de la civilité de John.


Le casting, notamment Donald Pleasence dans le rôle du docteur alcoolique et nihiliste, est magistral. Pleasence incarne à merveille un homme totalement désillusionné, qui semble accepter la futilité de l'existence avec une résignation morbide. Son personnage sert de miroir à John, lui montrant ce qu’il pourrait devenir s'il reste coincé dans ce cercle vicieux de destruction.


Wake in Fright est un film qui hante. C’est un voyage psychologique dans les ténèbres, une exploration de ce que signifie perdre son humanité dans un environnement qui ne la reconnaît plus. C'est aussi une critique acerbe de l’Australie rurale des années 70, où le conformisme et la brutalité des hommes sont inextricablement liés. Le film a gagné en reconnaissance avec le temps et est aujourd'hui considéré comme un chef-d'œuvre du cinéma australien.

Laurent_Duverdi
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le 20 oct. 2024

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