Nous ne sommes jamais sûrs du genre exact auquel s'apparente ce film hors du commun. L'impression initiale, la description d'une communauté repliée sur elle même et livrée à ses plus bas instincts, vue à travers les yeux d'un témoin extérieur laisse rapidement la place à des interrogations concernant la tournure des évènements : fable fantastique, voire carrément film d'horreur, à la Délivrance le film de Boorman, où notre gars se retrouverait piégé et retenu contre son gré par une ville de dégénérés ? Curieusement, la ligne qui ferait basculer vers un de ces deux genres n'est jamais franchie de sorte que le héros semble comme nous ne jamais tout à fait croire à la réalité qu' il a sous les yeux.
John Grant, archétype du personnage "positif", réunit toutes les qualités du héros (et du gendre) idéal : beau gosse, intelligent et discret, on découvrira bientôt le revers de la médaille : un fonctionnaire frustré doublé d'un type vénal et faible. Une duplicité de caractère qui ne cessera de s'affirmer au fil de l'histoire. Car, contrairement aux apparences, notre "héros" n'est jamais retenu dans ce trou perdu contre sa volonté. Et son intégrité physique n'est jamais mise à mal directement par ceux qu'il côtoie à la différence des personnages de Délivrance. Au contraire même, John semble se complaire, du moins inconsciemment, de la situation dans laquelle il se retrouve. En effet, tout ce qui l'empêche de quitter la ville - son alcoolisme, ses problèmes de cash - relève finalement de sa responsabilité propre. Ainsi, s'il est dégouté par la beuverie à laquelle se livrent ses hôtes, il y participe aussi activement, s'il est choqué par la chasse aux kangourous, il donne le sentiment d'y prendre plaisir malgré tout et s'il trouve le Doc repoussant (incroyable Donald Pleasence), il semble succomber dans une ultime nuit de déchéance au désir de ce corps masculin si éloigné de celui de sa petite copine en photo dans son portefeuille.
Et par effet de miroir, nous sommes nous-mêmes, comme ce personnage subissant une parenthèse éprouvante mais inconsciemment désirée, pris au piège de ce film dont certains aspects nous révoltent - les scènes de chasse évidemment - mais dont la mise en scène exerce une fascination à laquelle il est difficile de ne pas succomber. Ted Kotchev fait preuve en effet ici d'un sens de la réalisation parfaitement maîtrisé et surtout entièrement au service de son récit . Ses choix de cadrages, son travail de montage, sa direction d'acteurs contribuent à créer une atmosphère hallucinatoire : on crève de chaud, littéralement, des milliers de litres de bière coulent à flot, les autochtones paraissent de plus en plus cinglés et les certitudes quant à la réalité -ne sommes-nous pas arrivés en enfer- tombent une à une. Où cette histoire va-t-elle nous mener ?
Nous voici piégés, comme dans un trou noir, dans ce film décapant.


Histoire/scenario : 8/10
Personnages/interprétation : 8/10
Mise en scène/réalisation : 9/10


8/10

Theloma
8
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le 31 oct. 2016

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Theloma

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