Keep on dreamin’ in a sad world.
L’un des derniers films de Kurosawa s’inscrit dans une évolution tout à fait cohérente au regard de sa fin de carrière ; après les expérimentations de la couleur dans Dodes’kaden, les trois films suivants ont donné un rôle de plus en plus prééminent au visuel, qu’il s’agisse de célébrer la nature (Dersou Ouzala) ou les fastes de l’Histoire (Kagemusha, Ran).
L’assemblage de courts métrages lui permet d’explorer plusieurs univers sans pour autant devoir justifier d’une cohérence globale dans l’écriture. Ce qui importe au maitre, c’est très clairement l’expérience visuelle. Le film s’ouvre sur deux chapitres, probablement les plus réussis, éloges des beautés de la nature : forêt magnifiée par la pluie où l’on assiste à la chorégraphie d’un mariage de renard, dans l’univers onirique des enfants nippons, et floraison des pêchers incarné par des allégories aux costumes ouvragés. L’image est splendide, et l’on a vraiment le sentiment d’assister à du Miyazaki en live. Le film retrouvera ces grâces dans une expérience encore plus radicale, par le voyage dans les tableaux de Van Gogh d’un admirateur de ses toiles : poétique, audacieux, unique en son genre, c’est là une belle sortie pour un cinéaste qui se destinait à l’origine à la peinture, et dont on a tant admiré les chefs d’œuvre en noir et blanc.
Le film est pourtant loin d’être un adieu serein au monde, et c’est probablement là que le bât blesse : démonstration de la puissance de la nature (La Tempête), dénonciation de la guerre (Le Tunnel), vision apocalyptique des désordres écologiques (Le Mont Fuji en rouge, variation désespérée d’Hokusai, et Les Démons Mugissants), les leçons de morale sont assez pesantes et didactiques, dans certains segments dont on peine à saisir l’utilité. Pessimiste, le vieux maitre tente d’avertir les nouvelles générations sur la direction funeste que prend le monde, et il est clair que rediffuser ses propos sur le nucléaire au moment de la catastrophe de Fukushima a dû faire grincer bien des dents.
Cette alternance entre beauté et noirceur n’est pas une pleine réussite : car la sur-explicitation des menaces affaiblit son propos, et la laideur d’un monde post apocalyptique peut-être volontaire, mais néanmoins dispensable et peu pertinente.
Le dernier chapitre revient à la beauté initiale : celle d’une utopie écologiste encore faisable, vivant à l’ancienne en harmonie avec la nature. Si l’on met de côté le discours ultra didactique (et légitime, là n’est pas la question), les funérailles joyeuses qui achève le film peuvent rester comme l’image ultime du cinéma de Kurosawa : une conscience douloureuse des imperfections de l’homme qui ne renonce pas pour autant à vanter la beauté du monde qu’il habite.
http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Akira_Kurosawa/728262
Fin du cycle Kurosawa.