Riceboy Sleeps
7.4
Riceboy Sleeps

Film de Anthony Shim (2022)

Riceboy Sleeps, le petit garçon qui n'avait rien demandé

Ce 18 juin, le chanteur, producteur, styliste Pharrell Williams (Because I am happy…) a présenté un défilé dans les jardins de l'Unesco pour le moins singulier. Tel un nuancier vivant, des hommes ont paradé, du plus noir au plus blanc, avec des habits assortis à la couleur de leur peau. Il semblerait évident pour le commun des mortels que le message soit beaucoup trop flagrant pour qu'il donne lieu à une spéculation quelconque. Comme beaucoup d'artistes à qui l'on poserait des questions trop directes, du genre "est-ce que ce défilé est une réponse au contexte géopolitique anxiogène", le chanteur répond sans répondre. Intitulé "Le monde est à vous", le message pourrait jouir d'autant de déclinaisons que de couleurs de peau. Le côté "je veux sauver le monde" s'avère aussi humble qu'audacieux donnant un très fort aspect d'unité à la diversité raciale. Et un très fort écho, bien sûr à ce racisme absolument stupide qui semble faire partie de gènes de toute l'humanité.

Dong-Hyun, l'enfant-riz, est un petit garçon coréen, joufflu aux lunettes trop grandes, qui n'a jamais demandé d'avoir une vie meilleure. Surtout quand cette vie meilleure en question s'avère raciste et sans pitié. Ses yeux bridés sont source de moqueries. Il jette à la poubelle les repas que sa mère a préparé avec soin et de cette façon, il jette aussi ses racines, celles qui l'ont rendu différent. Il doit changer de prénom. Son identité se divise, comme si, abandonnant ce prénom soi-disant imprononçable, il devenait quelqu'un qu'il n'est pas.

Ce beau petit garçon souffre de cette vie meilleure qui ne l'accepte pas. Le format 4/3 l'empêche de s'épanouir, de respirer. Fils d'un couple non marié, la Corée ne lui accorde pas la nationalité. Ses pieds ne seront jamais sur un sol qui lui appartiendrait et la réalité se présente à lui sous la forme des enfants qui lui crachent dessus, qui le tapent, mais aussi des professeurs très fermés à la différence. La solitude, l'isolement de toute cette humanité qui endure le racisme des autres, pèsent sur les épaules de ce garçon qui ne comprend rien.

La première partie du film évolue dans une volonté de mettre en avant tous les acteurs caucasiens, avec leurs prénoms canadiens, leur peau laiteuse et une identité plus qu'affermie qui ne sera jamais remise en question. La frustration de Dong-Hyun n'est qu'un point inexistant dans cet univers qui s'est toujours très bien passé de lui.

Beaucoup de ressortissants coréens ont quitté leur pays natal avec cette idée qu'ailleurs, c'est toujours mieux. La plupart a fui cette obsession de la Corée pour la réussite, cherchant un endroit où l'épanouissement de l'individu serait prioritaire. Un pays où les opportunités ne dépendraient pas d'un acharnement farouche pour les études. Malheureusement, toute une autre problématique causée par le choc de cultures émerge, sans que l'on puisse y remédier.

Comme nous l'avons constaté dans le documentaire de 2012, réalisé par Laurent Boileau et Jung Sik-Jun "Couleur de peau : miel", le déracinement, la différence, la consolidation d'une identité brisée, s'avère une épreuve insurmontable. La détermination d'intégration prend le dessus sur l'amour inconditionnel de la mère de Dong-Hyun. Devenu David après maintes réflexions et disputes, blond et aux yeux faussement bleu, l'intimité qu'il partagent tous les deux ne suffit pas à le libérer de son mal-être. La complicité "seuls contre tous les autres" n'est plus un refuge mais un îlot au milieu d'un océan incertain.

Pour la deuxième partie du film, mère et fils prennent possession de l'écran, toujours aussi étriqué et étouffant. Les acteurs caucasiens sont relégués au deuxième plan sans que cela ne perturbe aucunement le déroulement du film. Au contraire, nous sommes fascinés par cette histoire qui semble anodine mais très forte de sens, touchés par cette situation qui n'a jamais changé. Cette lutte pour s'intégrer et ne pas perdre le peu d'identité qui leur reste s'avère épuisante. Comme une torture qui n'en finirait jamais. Comme une habitude qui ne serait pas dupe.


L'année 2021

Riceboy sleeps a été tourné le mois d'octobre de l'année 2021, dans les alentours de Vancouver et s'inspire en partie de l'enfance d'Anthony Shim, lorsqu'il a déménagé avec sa famille de Séoul vers une banlieue de cette ville.

2021 a été une année aussi tumultueuse que déroutante. Le Covid-19 s'est permis une nouvelle apogée, sous l'effet du variant Delta, provoquant plus de morts que la première année de la pandémie. Les avis partagés à propos des vaccins se voient réduits sous une dictature sans précédent qui oblige aux salariés non-conformistes à quitter leur travail. Alors que le mois d'octobre de cette année est témoin d'une nouvelle incrémentation exponentielle des contaminations à cause de l'Omicron, la première ministre de l'Alberta au Canada s'excuse de la discrimination faite à tous ceux qui n'ont pas voulu se faire vacciner.

L'efficacité des vaccins très remise en question et au vu des disparités avec lesquels ils ont été distribués dans le monde entier, les gouvernements poussent à des nouvelles mesures sanitaires. Le racisme à l'encontre des Asiatiques, connait une forte hausse sans une réaction pourtant assumée par les autorités. La banalisation est ahurissante et le racisme de celui qui attaque un Asiatique qui se promène tranquillement par les Champs-Élysées, comme si celui-ci était la cause de tous les malheurs du monde, s'avère au comble du danger et de la stupidité.

C'est dans ce contexte social que Riceboy sleeps voit le jour. Comme une petite brindille d'herbe qui pousserait au milieu d'un béton acerbe, le petit Dong-Hyun est en proie d'un racisme porté par une ignorance sans limites. Chaque personne ayant été visé par une attaque raciale, peu importe la taille ou la mesure, porte un petit Dong-Hyun innocent en elle.


Le réalisateur

Anthony Shim utilise le plan séquence comme une arme puissante qui donnerait toute sa force à cette histoire visitée maintes fois par le cinéma en général. Le montage tricheur n'a pas de place dans cet univers construit par une mère coréenne au Canada et son fils. Comme une caméra amatrice, les images sont loyales et sans filtre. Nous avons l'impression d'assister à une vidéo filmée par l'un de nos amis, lors d'un événement à garder dans nos mémoires. Sa prise de vue unique, qui oscille souvent entre quelques secondes et quelques minutes, et la pellicule en 16 mm, revendiquent une émotion compatissante, une naïveté comparable à ce petit garçon dénué de toute méchanceté.

Pour les scènes au Canada, le réalisateur se sert du format 4/3, ce qui confine et oppresse les deux personnages principaux dans une espèce de chambre de Colin. Leur réalité est sans issue.

La troisième partie du film se passe en Corée du Sud. L'écran s'élargit et les grandes étendues nous apportent un sentiment de légèreté. David rencontre la famille de son père et ce sang partagé les rend aussitôt complices. Malgré le drame latent qui s'approche à grands pas, il y a une attitude de « rien ne peut nous arriver » qui s'installe et qui nous détend. Cela confirme le soin du réalisateur de ne pas tomber dans un sentimentalisme trop prononcé et de contraire toutes nos craintes d'une fin larmoyante, qui aurait anéanti tous les efforts des deux premières parties du film.








Cooleur_Asia
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le 26 août 2024

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