Alors que les polémiques sur la vie personnelle de Woody Allen et la pandémie ont eu raison de sa rigueur métronomique, voici que s’exhume un film terminé il y a déjà deux ans, un retour en Espagne après l’escapade Vicky Cristina Barcelona en 2008.
Rien de bien surprenant dans cette intrigue, marivaudage d’intellectuels au sein d’un festival de cinéma : monsieur est un romancier laborieux, son épouse une attachée de presse et la permissivité ibérique va susciter chez les deux des tentations adultères. Wallace Shawn, un fidèle des seconds rôles chez Allen, reprend un rôle qu’il ne peut plus s’accorder en raison de son âge, avec tous les paramètres attendus, de la logorrhée angoissée aux saillies sarcastiques, en passant par l’hypochondrie chronique. Seulement voilà : l’acteur a lui-même 78 ans, et on peine à donner la moindre crédibilité à son mariage avec une épouse de 20 ans de moins, et encore moins la possibilité d’une affaire avec une Espagnole de 46. Cette facticité plaquée dès le départ aura une influence contagieuse sur tout le reste du film, accumulation de situations convenues dans des décors de carte postale, où Allen place çà et là quelques répliques amusantes, et condamne ses comédiens à une figuration assez inepte (le rôle offert à Louis Garrel est encore plus insipide que celui qu’il campait dans L’histoire de ma femme, c’est dire).
Woody Allen ne pouvant décemment pas s’en tenir à un cahier des charges aussi indigent, décide de souligner davantage la dimension référentielle. Alors que ses personnages parlent cinéma au quotidien – le propre d’un festival, voici que le protagoniste balance, en snob désabusé, les seules vraies références qui vaillent, et qui vont bientôt alimenter ses rêves. L’occasion pour le réalisateur de s’offrir un pot-pourri de pastiches où l’on croisera Welles, Bergman, Buñuel Truffaut, Fellini, Godard ou encore Lelouch. Dans La Rose Pourpre du Caire, l’acteur sortait de l’écran : ici, le personnage intègre directement les séquences, en noir et blanc, et les adapte à ses préoccupations intimes. L’embarras est à peu près généralisé tant rien ne fonctionne, que ce soit dans le name dropping poussiéreux (en gros, le top 10 du Sight & Sound), l’exercice de style sans aucun intérêt, ou l’appauvrissement des séquences salies par la médiocrité du récit encadrant. On retrouve ici cette culture de la naphtaline déjà en vigueur dans le pénible Minuit à Paris, et par laquelle le réalisateur déblatère son discours un peu rance sur l’état du monde en se réfugiant dans les saveurs d’un âge d’or perdu. À moins que ce ne soit là le simple constat de son propre tarissement d’inspiration, que venait pourtant un peu contredire Wonder Wheel et quelques idées d’Un jour de pluie à New York. Une idée qui pourrait se confirmer lorsqu’on prend en compte le sort de son protagoniste, un romancier raté qui ne terminera jamais son grand œuvre censé s’inscrire dans le sillage de Dostoïevski ou Joyce. Cet autoportrait cynique aurait néanmoins pu avoir la politesse de se faire avec humour et finesse, des qualités sur lesquelles le réalisateur a su construire une carrière pléthorique.