Rio Bravo est un film-culte dans la catégorie reine du western. Bien que je ne sois pas pas un spécialiste, c'est un des rares films du genre qui me procure plus de plaisir lors de ses rediffusions que lors de sa première vision.
C'est Howard Hawks qui en a écrit le scénario en collaboration avec Jules Furthman, en partie pour prendre le contre-pied de High Noon de Zinneman en choisissant de montrer le courage du peuple au lieu de sa lâcheté collective et le courage du shérif au lieu de ses appels à l'aide. Dimitri Tiomkin en a écrit la musique notamment le tragique Degüello, « Pas de quartier » inspiré par l'air que les Mexicains jouaient lors du siège de Fort Alamo pour signifier aux Texans encerclés que leur mort était inéluctable. Le sens de cette musique est clair à un moment charnière du film quand le bandit Nathan Burdette annonce ainsi à Joe Burdette son frère prisonnier que l'assaut de la prison est imminent et qu'il n'y aura aucune pitié pour le shérif et ses hommes.
Le côté culte du film vient en premier lieu des principaux personnages soigneusement développés, notamment un personnage féminin qui a une place de choix.
La femme aux plumes
« Feathers», Angie Dickinson, est une femme à la fois vulnérable (elle est veuve et éprouvée par la perte de son mari) et forte ; en plus d'être une joueuse professionnelle, elle est une artiste de saloon et fait partie des femmes capables de se débrouiller toutes seules au sein d'un milieu essentiellement masculin, ce qui est assez rare dans le western. Et en même temps elle est très séduisante quand elle provoque le shérif:
_ Vous m'avez mise en colère, shérif : vous ne m'avez pas demandé si j'avais pris ces cartes. Vous allez donc devoir prouver que je les ai. Et la seule manière de le prouver est de me fouiller.
_ Vous fouiller ?
_ Un shérif fouille toujours ses prisonniers. Mes manches sont trop serrées, mais il y a ma taille.
_ Continuez comme ça et je vais finir par le faire.
_ Je n'en suis pas si sûre. Je pense que vous êtes gêné…
L'homme à l'étoile d'argent
Et bien sûr il y a John Wayne, le shérif John T. Chance, l'homme à l'étoile d'argent qui a inspiré Charlier pour un Blueberry d'anthologie.
Howard Hawks participe à la construction du mythe John Wayne mais s'amuse comme dans la Rivière rouge à l'égratigner par l'intermédiaire de Feathers et, bien que John T. Chance soit décrit comme un modèle de courage et d'autorité, il sous-entend que le héros de l'Ouest n'aurait pas une grande expérience avec les femmes, comme le suggère le dialogue précédent.
Le clan Burdette
La situation de départ dans Rio Bravo est en défaveur des « bons ». D'accord il y a John T Chance le héros invincible du western. Mais il est épaulé par un vieillard estropié Stumpy et par Dude un alcoolique que tout le monde surnomme Borrachón « le poivrot ». En face un groupe d'une quarantaine d'hommes de main, aguerris et confiants en leur force, grassement payés par le clan Burdette, de gros propriétaires terriens, qui sont prêts à tout pour aller délivrer Joe Burdette dans sa prison. Ou le face à face déséquilibré et toujours actuel entre le pouvoir de l'argent et la justice dépourvue de moyens. Tout porte à croire que les représentants de la loi ont peu de chances de s'en sortir en cas d'assaut.
Borrachón
L'un des points de basculement des forces en présence est dans la scène du saloon où est réunie une partie du clan Burdette et dans lequel vient se réfugier un des tueurs du clan dont on sait seulement qu'il a des bottes sales. Le timing est parfait, chaque plan est parfaitement choisi.
Borrachón, pas encore vraiment Dude (Dean Martin), entre par la porte de devant, Chance entre discrètement par la porte arrière. A la surprise générale Dude s'affirme comme un véritable shérif de substitution. Il exige que tous les hommes déposent les armes. Il demande ensuite aux hommes de lever leurs pieds pour savoir si l'un d'entre eux a de la boue sur ses bottes. Quand il réitère sa demande au barman Charlie, ce dernier lui réplique qu'il a dû avoir des visions et devrait boire un verre. A ce moment l'un des hommes lui lance une pièce dans un crachoir. Dude est sur le point de perdre pied et de perdre sa dignité. Mais il remarque le sang qui coule dans sa chope de bière. Contre-plongée avec le tueur au premier plan armé d'un fusil. Dude comprend la situation, dégaine et abat le tueur. Chance conclut la scène et lui dit : « Je pense que dorénavant, ils te laisseront entrer par la porte de devant. »
A partir de ce moment Dude change de statut et se voit offrir une seconde chance en devenant le second de Chance.
Luttes pour la dignité
Le thème central de Rio Bravo commun à toute l'œuvre de Hawks, mais ici plus qu'ailleurs, est le respect de soi et la lutte de chacun pour sa dignité. Elle se déroule la plupart du temps entre les quatre murs de la prison du shérif. Cette focalisation sur les affrontements internes de personnalités a comme conséquence malencontreuse une tension assez mal rendue puisque l'ennemi brille par son absence. Chaque protagoniste doit avant tout mener sa propre lutte pour s'affirmer face à un John T Chance ironique qui a tendance à se moquer de ses partenaires. John Carpenter reprendra la trame du film dans son film Assaut en faisant le choix de privilégier la tension au détriment de la psychologie des personnages. Le combat de Dude contre son addiction est le parfait exemple du choix de Hawks. Dude a des victoires comme des rechutes mais réussira à surmonter son addiction dans la scène où il reverse son verre dans la bouteille sans trembler, en méritant enfin le respect du shérif Chance. La lutte de Stumpy (Walter Brennan) qui surveille le prisonnier est aussi une lutte constante face au shérif pour forcer le respect dû aux anciens. Le jeune Colorado (Ricky Nelson), par ailleurs célèbre chanteur de country) doit faire ses preuves de loyauté et d'esprit d'équipe comme dans un long rite initiatique pour le passage à l’âge adulte. Feathers doit lutter contre les préjugés de Chance liés à sa condition de femme indépendante et de joueuse professionnelle suspectée de tricherie et elle aura fort à faire pour chasser la défiance initiale du shérif.
Des amitiés indéfectibles
Le second thème est celui de l'amitié_ amitié ancienne et profonde entre Chance et Dude et entre Chance et Stumpy; amitié relative entre Dude et Stumpy qui lui tire dessus ; amitié à sous-entendu entre Dude et Colorado, perceptible quand le shérif adjoint d'âge mur et le jeune premier chantent en duo amoureux My Rifle, My Pony and Me en s'échangeant des regards; amitié entre Chance et le courageux Mexicain Carlos (Pedro Gonzalez-Gonzalez); amitié enfin qui évolue en relation amoureuse un petit peu forcée par la femme aux plumes entre Chance et Feathers.
L'affrontement
Bien sûr l'affrontement final est un morceau de bravoure qui laisse le spectateur heureux du dénouement attendu. Mais plus que l'attente de l'assaut final et de l'issue du duel final où triomphent sans surprise l'ordre et la justice, c'est d'une part la rédemption du personnage de Dude et sa victoire sur ses démons et d'autre part le début d'une romance amoureuse entre Feathers et le shérif , souvent en mode humoristique, qui procurent les plus grandes satisfactions quand on revoit le film pour la énième fois. Feathers, habillée de son bustier noir moulant, va tomber dans les bras de John T Chance quand il lui fera cette « déclaration d'amour » en mode pour le moins insolite.
__ Où allez-vous ?
__ En bas !
__ Vous ne devriez pas.
__ Pourquoi ?
__ Je suis shérif ! Si vous vous montrez ainsi je vous arrête !
__ John T ! J'ai tant attendu que vous me disiez ça ! Vous avez une façon bizarre de dire les choses !
__ Que je dise quoi ?
__ Que vous m'aimez !
__ J'ai dit que je vous arrêterai.
__ C'est la même chose !