Pourquoi ne puis-je voir ce film sans ressentir un pincement au cœur ? Objectivement, ce western en huis-clos ne présente rien, sur le papier, d’extraordinaire. Le grand John incarne un énième shérif incorruptible. Dean Martin picole dur. Le petit vieux est cocasse. La jolie blonde ne manque pas d’assurance. Le faux Elvis joue faux. Les combats sont irréalistes. Les méchants, inconsistants, tombent sans excès de résistance. Or, dès la première scène, Rio Bravo surprend. Alors que tout semblait opposer John T. Chance (John Wayne), impeccable dans sa tenue amidonnée, et le clochard alcoolisé Dude (Dean Martin), c’est sans prononcer une parole que le shérif et le poivrot capturent Joe Burdette, l’assassin.
Howard Hawks et John Wayne entendent répondre au fameux Train sifflera trois fois de Fred Zinnemann (1952). Gary Cooper y dénonçait la lâcheté de ses concitoyens, apeurés par le retour du caïd local. Bien que Chance n’ait que deux équipiers à opposer aux quarante tueurs aguerris, il ne cherche pas d’appui en ville, au contraire, il n’aurait que faire de pères de famille, incapables de se battre. Souvenez-vous d’American Sniper : « Il y a trois types de gens dans ce monde : les moutons, les loups, et les chiens de berger. Certains préfèrent penser que le mal n’existe pas dans le monde. Et si un jour ils étaient directement menacés, ils ne sauraient pas comment se protéger. Ce sont les moutons ! Et puis tu as les prédateurs, Ils utilisent la violence pour intimider les autres : Ce sont les loups ! Et puis il y a ceux qui sont bénis par le don de l’agression et un besoin écrasant de protéger le troupeau. Ils sont une race rare qui vit pour se confronter avec les loups. Ce sont les chiens de berger. » Le gunfight est une affaire de professionnel, tuer ne s’improvise pas. Shérifs et pistoleros partagent la même passion pour les armes, ne différant que dans leur rapport à la loi.
Chance et Dude servent la loi. Des années durant, Dude a veillé sur les arrières de son chef. Depuis trois ans, les rôles sont inversés. Chance protège, à distance, son ami. Il a racheté sa tenue et ses armes, dans l’espérance qu’il parvienne à surmonter sa dépression. À deux reprises, Dude frappe Chance. Il est rarissime que le grand Wayne encaisse des coups sans les rendre. Que ne supporterait-on pas pour un ami ? Le vieux Stumpy (Walter Brennan) a été un mouton, jadis, avant de se voir spolié de sa terre. Il geint, grogne, râle et rit, mais son personnage est essentiel. Contrairement à ses trop purs camarades, il a un compte à régler avec les Burdette et n’hésitera pas à tuer de sang-froid son prisonnier. Colorado (Ricky Nelson) tire juste, mais n’a pas choisi son camp, il s'occupe de ses affaires. L’engagement de la jeune rock star a été jugée indispensable pour rajeunir et féminiser les fans des vieux cow-boys. Son rôle est bien écrit. Il observe, hésite, avant de prendre parti, juste à temps pour nous offrir l’extraordinaire scène de nuit, dans la prison.
Alors que Dude semblait sur le point de fuir, vaincu par un sevrage trop brutal, il est sauvé par la musique d’El Alamo qui annonce une lutte à mort. La peur s’est envolée, comme le souvenir de la femme maudite. Carpe diem. Des bières et du tabac, une guitare et un harmonica, trois copains, il est temps de chanter.
« My Purple light in the canyons
That's where I long to be
With my three good companions
Just my rifle, pony and me… »
https://www.youtube.com/watch?v=5o0GPhrY-gM
La voix chaude au timbre rond du crooner est somptueuse. La vibration parfaite. Colorado ajoute sa voix juvénile. Chance écoute et sourit. Nous aussi. Le monde s’est arrêté. Les frères Burdette peuvent bien attendre.
J’oublie la belle blonde. La sublime Feathers (Angie Dickinson) est une joueuse de poker, entraineuse en rupture de ban depuis la mort de son homme. La jeune femme, qui cherchait un protecteur, a sélectionné le shérif. En quelques scènes d’anthologie, elle ensorcelle Chance. Comme quoi, il n’y a pas que les potes et la bière dans la vie d’un cowboy. La vie est si belle.