Ridley Scott fait de la rébellion de Robin et des siens une œuvre géopolitique au sein de laquelle la guerre en tant que succession de faits marquants l’intéresse moins que l’ascension fulgurante d’un monarque ivre de pouvoir et soucieux de tirer davantage de « la mamelle sèche » qu’est le peuple anglais. Oscar Isaac incarne le prince Jean qui, après l’annonce de la mort du roi, devient monarque « de droit divin » : ce statut lui octroie une toute-puissance sur ses sujets auxquels il demande une loyauté sans faille, alors que lui-même finit par revenir sur sa parole. En guise de réponse aux protestations nombreuses qui s’élèvent, il se présente comme l’émissaire direct du Créateur ; dès lors, limiter son pouvoir reviendrait à « restreindre l’autorité de Dieu ».
Le cinéaste compose donc un personnage hypocrite qui se sert de la religion comme d’un instrument pour régner par la terreur ; il trouve un double inversé en le personnage de Frère Tuck, moine défroqué et paillard qui cultive des ruches afin de concevoir un alcool fort. Tous deux attestent le mensonge d’un christianisme d’État, prétexte aux pires exactions. Robin et Marianne représentent quant à eux le peuple laborieux : leurs efforts et leur amour réciproque, acquis naturellement au fil du temps, convertissent les plaines stériles en champs fertiles. Leur victoire finale change les agneaux apparents en lions véritables contraints néanmoins de vivre en marge : ils ont suivi à la lettre l’impératif inscrit sur la pierre tombale et sur l’épée : « dressez-vous sans relâche » (« rise and rise again »). Cet adage est développé par l’image de la cathédrale, qui sert à Robin pour convaincre le roi d’appliquer une charte d’indépendance : « un pays se construit comme une cathédrale, à partir du bas ».
Si son film souffre de longueurs et d’une reconstitution assez peu incarnée de l’époque médiévale, Ridley Scott représente bien en actes et en action les fondations d’une nation que sape son dirigeant par aveuglement devant son lustre et sa puissance. Il ne met donc en scène ni légende ni héros en tant que tels, mais une légende et un héros en devenir, construits pour destituer le faux prophète et raccorder le prétendu Créateur à sa mortalité congénitale. Son couple principal figure une alternative heureuse et productive à l’hypocrisie ambiante. Il semble donc y avoir une porte de sortie au nihilisme du cinéaste, qui rejoindrait le déisme de Voltaire : « il faut cultiver notre jardin ».