Devant Blade Runner, Edward Neumeier eut l’idée d’un flic robot qui pourchasserait les humains. Un homme de métal qui sort d’une voiture de police et tire sur la foule. A partir de cette image, il rédige un scénario qui essuie plusieurs refus avant d’atterrir chez Paul Verhoeven.
La vision du réalisateur néerlandais transforme les ambitions de ce projet au titre racoleur. Il devine dans l’histoire de Neumeier la possibilité d’un sous-texte profond. Robocop est né et la pop-culture va squatter le toit du monde à coups de Beretta.
Le film ne sera pas un actionner bas du front, mais un film violent et politique. Comme toute bonne œuvre d’anticipation, il est le reflet de son époque, le miroir déformant des dérives réelles ou fantasmées de l’Amérique reaganienne.
Même s’il recycle les codes du polar hardboiled, ce qui lui vaut d’être taxé de film de réac, Robocop n’est pas un Harry Callaghan 2.0, bien au contraire. Comme Judge Dredd, œuvre dont il est imprégné tant dans l’imagerie que dans les thèmes, ces codes sont utilisés jusqu’à l’overdose pour ridiculiser le message sécuritaire qu’ils auraient pu véhiculer.
D’autant plus qu’il faudrait être aveugle pour ne pas déceler la portée politique du film. Verhoeven nous met le nez dedans tout de suite. Dans un futur proche, Detroit est une poubelle à ciel ouvert et la police appartient à une entreprise privée, l’OCP. A travers cette multinationale qui semble avoir la mainmise sur tout, le réalisateur se plait à singer Wall Street et ses requins en cols blancs.
Celui qui accouchera de Robocop est le stéréotype du Yuppie des années quatre-vingt. Bourré de coke et prêt à escalader l’organigramme de l’entreprise à coups de Berlutti dans la figure de ses collègues, c’est ce Gordon Gekko du futur qui va créer le flic moitié homme, moitié robot, cent pour cent produit.
Le but de cette machine indestructible : éradiquer ce « cancer » qui ronge Detroit, cette criminalité qui transforme chaque jour un peu plus la ville en no man’s land post-apocalyptique.
Dans les pubs ou extraits d’émissions que l’on trouve en insert entre certaines scènes, Verhoeven laisse transparaître sa vision des médias. Vaine société du spectacle où tout n’est que bons mots et phrases d’accroche.
Un programme à côté duquel la télévision berlusconienne ressemble à Arte passe en boucle : un comique, entouré de filles en bikini, gueule la phrase qui a vraisemblablement fait sa célébrité : « I’d buy that for a Dollar ! ». Les potiches s’esclaffent, le téléspectateur aussi. Un alignement de mot qui fait rire parce qu’il est un slogan, comme « prout » fait rire les enfants. Une phrase vidée de sa substance, utilisable dans n’importe quel contexte avec toujours le même effet comique. Un cri de ralliement.
A l’heure de Nabilla, ces scènes sonnent comme un avertissement.
Au delà du message, Robocop est un personnage iconique qui a marqué des générations de cinéphiles par son aspect et par ce qu’il représente. Sous son armure – merveille de design eighties, que l’on doit à Rob Bottin, le génie derrière The Thing et la femme à triple boobs de Total Recall – subsiste le cerveau d’Alex Murphy, jeune flic fraîchement muté dans le quartier le plus craignoss de la ville.
Après une demi-journée dans un endroit qui ferait passer la banlieue nord de Marseille pour Celesteville, il est exécuté par le bad-guy le plus sadique de l’Histoire (ex aequo avec le Freddy Mercury des Balkans de Commando). La main droite explosée par un tir de fusil à pompe, le corps criblé de balles pendant d’interminables secondes, sa tête s’écroule enfin après une ultime déflagration.
Souvent les critiques ont reproché à Verhoeven son approche très graphique de la violence. L’assassinat d’Alex Murphy est une scène clé dans la compréhension de l’œuvre du réalisateur. On a pu reprocher à Tarantino le traitement cathartique qu’il emploie dans ses scènes de meurtre. Chez Verhoeven, c’est moins systématique. Ici, rien n’est gratuit et surtout rien n’est jouissif. La scène est un supplice pour le spectateur mais il doit vivre le martyr du héros.
Une exécution en forme de crucifixion, avant la renaissance de Murphy en messie cyberpunk.
Ce qu’il reste de Murphy est récupéré par l’OCP qui s’empresse de mettre en oeuvre le projet. C’est un succès et Robocop devient le héros de la ville. Malgré les circuits qui parcourent son cortex, il n’en demeure pas moins un homme, doué d’une conscience et surtout d’un inconscient. C’est après un face à face avec l’un de ses tortionnaires qu’il revit en rêve son assassinat. Troublé par les réminiscences d’une possible vie antérieure, il se rend dans son ancienne maison.
Sa femme et son fils ont déménagé, il erre seul dans les chambres vides, son étrange carrure et sa démarche aux articulations plus mécaniques qu’humaines nous font comprendre ce qu’il réalise alors. Malgré son humanité, il n’a plus sa place dans notre monde.
Alex Murphy meurt une deuxième fois. Ressuscité, on l’a dépossédé de son existence. Il est désormais un être dont la vie est censée se résumer à sa fonction, celle de faire régner la loi. Et obéir à l’OCP.
Robocop n’est ni un homme ni une pure machine. Ce questionnement existentiel est l’essence de ce personnage bien plus complexe qu’il n’y parait.
Il est difficile de parler du film sans trop en dévoiler, tant chaque séquence est culte. Citons quand même une autre machine emblématique, ED 209, premier prototype de robot justicier dont les défauts de conception s’illustreront dans une mémorable scène d’ exposition.
Un autre passage entré dans les annales est celui de la mort d’un des assassins de Murphy qui après être rentré dans une cuve de déchets toxiques se décompose et explose sur un pare-brise, façon flaque. Le "melting man", au même titre que la tête qui explose dans Scanners est une séquence iconique du cinéma de genre.
Robocop est le reflet de son époque pour ses thèmes mais aussi pour la vision du Cinéma qu’il représente. Une vision qui parachèvera en une décennie la domination du cinéma Hollywoodien. Une vision qui accouchera de réalisateurs de génie, capables de s’attaquer au divertissement avec sincérité et de créer de véritables icônes.
Comme beaucoup d’œuvres de l’époque, le personnage principal transcende le film avec la nonchalance des héros et reste imperméable aux suites ratées.
Robocop est aujourd’hui un symbole. C’est la Delorean, les Tortues Ninja et John McLane. C’est un sabre laser, la vision thermique du Predator et le verre d’eau qui tremble à l’approche du T-rex. L’un des plus illustres ambassadeurs de la pop-culture.
Et rien ne changera cet état de fait. Pas même un remake
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