En 1978, Sam Raimi réalise un court-métrage en super huit. Œuvre séminale qui porte en elle les germes de la trilogie Evil Dead, Within the Woods obtient un certain succès et lui permet de financer son entrée fracassante dans le monde du cinéma.

Malgré son amour pour l’humour loufoque des Three Stooges et de Tex Avery, Sam Raimi s’attaque au genre, plus porteur, du film d’horreur. Grâce à son acharnement, et à celui de son producteur Robert Tapert, il va obtenir 350’000 dollars. C’est avec ce maigre budget qu’il s’attaque à son premier long-métrage, intitulé Book of the Dead. Le film sera rebaptisé The Evil Dead.

Le scénario est simple. Une bande de copains loue une maison à la campagne. Ils tombent sur d’étranges reliques abandonnées par le propriétaire, un vieil archéologue. Parmi ces reliques, le "Necronomicon". Un ouvrage maudit qui invoque des créatures infernales, capables de prendre votre apparence et d’imiter votre voix. Ce ne sont pas des démons. Ce sont des "deadites".

L’histoire n’est pas d’une originalité folle. En revanche, le film est un pur délire esthétique. Un film expérimental qui ne recule devant aucune audace pour nous offrir quelque chose de jamais vu. Si aujourd’hui les effets spéciaux paraissent datés, il est impossible de ne pas déceler qu’ils sont l’œuvre d’un génie, Tom Sullivan.

Inspiré par les horreurs perpétrées dans les camps nazis, il conçoit l’esthétique macabre du livre. Ecrit en lettres de sang et relié en peaux humaines. Sa vision du "Necronomicon", contribue à l’ambiance glauque du premier Evil Dead, peut-être le plus sérieux de la trilogie.

La décomposition du "deadite" est un autre moment de bravoure. Influencé par celle du "Morlock" dans The Time Machine de George Pal, Tom Sullivan utilise la "stop motion". Il évite les saccades relatives à ce procédé en soumettant la pellicule à une double exposition. Exemple parfait d’une contrainte budgétaire transformée en opportunité artistique, le travail de ce maître du système-D force le respect.

Nous lui devons aussi la scène dont on se souvient tous. Une scène emblématique du cinéma d’horreur, gravée dans la mémoire du spectateur : celle des arbres violeurs. Et oui, ici point de tueurs libidineux, mais un gang d’arbres bien décidés à assouvir leurs pulsions. Un moment qui restera ancré dans le souvenir de la comédienne, loin de mesurer l’impact que cette séquence aurait dans l’imaginaire collectif . Sam Raimi ajoute en post-production un petit cri de jouissance. Le malaise du spectateur est décuplé.

Tim Philo, directeur de la photographie, contribue aussi à la réussite visuelle du film. C’est à lui que l’on doit les travellings très rapides en vue subjective. Bien sûr, si on a vu ne serait-ce qu’un slasher, on connait ce procédé. Sauf que le slasher se limite à nous montrer ce que voit le tueur.

Ici, on voit à travers les yeux d’une bête démoniaque. Une force implacable qui file à une vitesse folle et défonce des portes, brise des arbres, pour fondre sur sa proie humaine. Impossible de ne pas ressentir la supériorité de cet ennemi invisible. L’impact du procédé dans l’imagerie du cinéma horrifique est colossale. Depuis, de nombreux cinéastes l’ont réutilisé, dont Peter Jackson avec Bad Taste. Et Uwe Boll avec…on n’est pas obligé d’en parler en fait.

Hormis ces considérations techniques, Evil Dead est un grand film de genre, qui mêle habilement l’humour noir et l’horreur pure. Grâce au personnage de Ash, véritable ressort comique du film, on oscille pendant presque une heure et demi entre premier et second degré. Imaginez une sorte de Homer Simpson qui se battrait contre les forces du mal. Un mec certes un peu idiot, mais un personnage attachant et drôle, emmené par la géniale interprétation de Bruce Campbell. Les pisse-froid diront qu’il en fait des tonnes. C’est vrai, mais je crois qu’on est plutôt tous d’accord pour dire qu’on les emmerde.

Chaque plan de The Evil Dead respire l’amour du cinéma. Le cinéma de Raimi est une illusion, un pied de nez à la réalité. Un art des images, où le réalisateur est magicien. Raimi n’utilise pas la caméra pour filmer le réel. Il crée sa réalité, génial bricolage. Pour lui la contrainte n’est pas une barrière, mais un moyen de faire exploser les coutures d’un cinéma codifié. Un cinéma qui a tendance a perdre son audace expérimentale au profit d’une technique de plus en plus perfectionnée.

Film matriciel, à travers lequel transparaît le génie formel de Raimi, il est né dans la souffrance et doit tout à une bande d’amis bien décidés à dynamiter le septième art. Le succès est fulgurant. La grande porte du cinéma est fracassée sur les décombres fumants du Nouvel Hollywood. The Evil Dead accouche de deux suites, encore plus réussies. Aujourd’hui, grâce à sa trilogie consacrée à Spider-Man, Sam Raimi est l’un des rois d’Hollywood. Le rêve américain.
cruzsandal
8
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le 8 févr. 2014

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