Don't you forget about them.
Parler de Breakfast Club, dire quelque-chose qui n’a pas encore été dit. En parler comme un film, avec distance. C’est un chef d’œuvre. Simple et génial. L’analyser, de manière rationnelle, est un exercice vain, et creux. Ou alors on n’a pas compris grand-chose.
Le résumer à son scénario serait une erreur. Comme beaucoup de grands films, Breakfast Club part de clichés pour ensuite les retourner. Les renvoyer au spectateur, ado ou adulte. L’histoire est simple. Cinq élèves doivent passer tout un samedi en colle. Le sportif, le nerd, la reine du bal, le rebelle et la fille un peu cheloue sont enfermés dans la bibliothèque, sous l’œil de Mr Vernon, le surveillant ultime, l’uber pion. L’objectif de cette longue journée d’ennui, répondre par écrit à une question.
« Qui pensez-vous être ? »
Pour le spectateur, pour Mr Vernon, la réponse semble limpide. Tout commence de façon traditionnelle. Chaque personnage agit selon le cliché qu’il véhicule. Le nerd se soumet au rebelle, qui provoque la princesse, qui se fait défendre par le sportif. Et la fille cheloue…est cheloue. On voit même naitre une esquisse de romance entre la reine du bal et le quarterback. Sauf que voilà, les choses ne sont pas si simples.
Très vite, le vernis craque. On s’aperçoit que chaque personnage n’est pas simplement le stéréotype dans lequel on l’a enfermé. Tous vivent les mêmes problèmes. L’indifférence des parents, leur appréhension à propos du futur. La drogue, le suicide, le sexe, tout y passe.
Le film est parfois loufoque, parfois drôle. Toujours émouvant et juste. Jamais condescendant, John Hughes filme les adolescents avec une grande tendresse. Il se reconnait dans chacun de ses personnages. Le spectateur aussi. On y retrouve soi-même ou un ami.
Breakfast Club est un film charnière qui redéfinit ce qu’est l’adolescence, sujet rarement traité à l’époque. Douze ans avant, avec American Graffiti, Lucas évoquait la jeunesse des années 50. Plus un exercice de style qu’une véritable réflexion.
John Hughes est peut-être la seule personne, la première en tout cas, à s’être penchée sur les adolescents. Les jeunes ne se résument plus à des adultes en voie de développement. Il montre au spectateur, qui l’avait oublié, la complexité de la jeunesse. La place des adolescents dans un monde qui ne leur appartient pas, la place de leurs propres aspirations, étouffées par celle de leurs parents. Ce qu’il reste de notre individualité face à la pression du groupe.
Pourtant, le « teen-movie », tel que l’a inventé John Hughes, basculera. Les clichés brisés dans les années 80 reviennent en force quelques années plus tard. Avec American Pie et ses clones, l’ado redevient un attardé qui ne pense qu’au sexe. Les filles passent de la jolie Molly Ringwald, à la blonde peroxydée au physique de pornstar. Le mythe de l’adolescent qui baise des tartes aux pommes a remplacé, celui beaucoup plus réel, de l’adolescent complexe et sensible.
Hollywood nous a vendu l’image qu’elle voulait de la jeunesse. Entertainment, maitre mot d’une machine qui a broyé John Hughes et sa vision. Le spectateur est trop con, ce qu’il veut c’est rire, voilà le message. A défaut d’avoir été suivi, John Hughes a réalisé un film qui sonne toujours aussi juste, presque trente ans plus tard.
Breakfast Club est une œuvre salutaire car elle rappelle à l’adulte qui il était, et surtout ce qu’il voulait être. Une œuvre nostalgique et intemporelle. Andy, Claire, Allison, Brian et Bender, c’est nous.
Nous sommes le Breakfast Club.