Robocop, c’est un traumatisme de gosse, une scène de meurtre impitoyable. Robocop, c’est 5 meurtriers qui butent un flic, c’est 5 raclures qui déversent leur haine de la société sur le premier homme de bien qu’ils ont pu trouver. Chargeurs vidés, hurlements de douleur : on y dépeint la mort d’un homme et la naissance d’une créature héroïque, la perte du corps au nom d'une justice nouvelle.


Robocop est la passerelle entre deux univers, une sorte de croisée des mondes : l’un organique, l’autre cybernétique. L’homme rencontre la machine, la machine épouse les traits de l’homme. Créature désincarnée qui tente de s’offrir une humanité, voilà donc le reflet de cet être passé : Murphy ou Robocop? La réponse arrive en conclusion, par une phrase simple, frappante, qui met un point d'arrêt à cette réflexion fantastique sur ce qui fait de nous des hommes.


Un personnage divinement bien interprété; Peter Weller au sommet de son art, rencontrant le seul grand moment de sa carrière. Une sorte de figure prophétique pour son interprète, qui toucha la grâce le temps d’un film par sa prestation humaine, intime, touchante, retombant ensuite dans les tréfonds des icônes déchues d’Hollywood (à l'image de sa créature). Certes inconnu pour le grand public, il n’en demeure pas moins un grand second couteau du cinéma américain; Star Trek, Planète Hurlante, et d’autres grands films de science-fiction en attestent.


Face à lui, des gueules particulières; cinq acteurs inoubliables dans des rôles de salauds ultimes, aux côtés d’un bureaucrate charismatique tout aussi vicieux. Robocop, c’est le paradis des pourris qui se transforme en village des damnés. On y chasse la vermine comme le fauve traque sa proie; sans pitié, se délectant de la peur de son ennemi, à l’affût de la moindre erreur, prêt à bondir à son cou. Tout va dans ce sens jusqu’à la chute de l’intrigue, véritable bain de sang mêlé de boue, explosion de vengeance dans un déchaînement de violence prenant place sur les vestiges d'une usine désaffectée, aux airs de lieu de renaissance, de résurrection pour un Murphy méconnaissable.


Une action par ailleurs saupoudrée d’un zeste de bande-son délicieuse. Mythique thème de Basil Poledouris, qui n’est pas sans rappeler celui de Starship Troopers (du même compositeur), voilà une musique qui reste en tête, et marque d’une pierre blanche les plus beaux moments de l’oeuvre. Elle monte progressivement, fait écho à cette tension dramatique qui va crescendo; à l'image de Robocop qui perd progressivement son armure pour dévoiler ses restes d'humanité, la bande-son suit parfaitement l'intrigue et la met en avant, offre une nouvelle proportion à cette mise en scène géniale.


Mais en plus de tout cela, Robocop c’est aussi la critique acerbe d’un scénariste désillusionné. Robocop, c’est le constat terrible d’une société qui se meurt dans sa paresse et ses vices, qui ne cesse de critiquer l’autre et désire sa chute prochaine, de ces états qui suppriment opposants comme anciens alliés, de cette société libérale qui s'empare de tout, jusqu'à souiller l'indépendance de la justice et le libre-arbitre du spectateur. On parle tout de même de journaux télévisés faisant la promotion d'un jeu familial nucléaire, où chaque membre de la famille tentera de faire exploser l'autre (fille, frère, mère, grand-père,...).


Ici, l’homme est mauvais par substitution, puisque réduit à un état pulsionnel par son ultraconsommation : il braque une épicerie, fait exploser des magasins de téléviseurs qui passent en boucle la dernière émission populaire, réduit en cendres la propriété de travailleurs pauvres, le fait encore et toujours; ce n'est pas pour rien que Verhoeven ponctue son film du fameux "J'en prendrai pour un dollar" : Robocop nous dépeint une société libérale où chacun veut sa part du gâteau, en y laissant le moins de frais possibles. De même pour les grandes figures du pays : alors que la police est vendue à de grosses têtes corrompues, les médias ne cesseront de bourrer les crânes de fausses idées, et la publicité vendra aux enfants des jeux indignes à la morale douteuse (comme évoqué précédemment), jusqu'aux excès immoraux de sa suite très sympathique.


Vaste farce du siècle dernier, horrible constat d’une société qui ne cesse de se dégrader, voilà donc l’expression même de la perversité. Dans Robocop, on aime tuer lentement, on aime torturer son prochain jusqu’à ce qu’il en crève, réanimer des cadavres pour jouer les "Docteur Frankenstein" avides de blé, et se résigner à détruire cette abomination sous prétexte qu'elle est devenue plus humaine que l'Homme.


Dans Robocop, les mots sont des armes, et les armes se résument en des mots. Ici, le journaliste est aussi nocif à la société que l’est le bandit, le dirigeant est encore plus pourri que les grandes têtes des gangs parce qu'il a le pouvoir politique pour lui. Qu’en est-il donc des hommes de bien? Ils font la grève parce que le peuple rejette leur protection. Ils crèvent au détour d’une ruelle. Ils se meurent sur le sol crasseux d’usines désaffectées et terminent seuls, perdus dans la froideur d'un appartement vide, à se remémorer douloureusement les souvenirs d'une ancienne vie qu'ils imaginent avoir vécue.


L’espoir, quant à lui, n’est qu’un mot vain, inutile, une flamme qui s’éteint quelquefois rallumée par la présence d’une nouvelle personnalité, d’un héros d’un genre nouveau : Lewis et Murphy, Roméo et Juliette non avoués. Mi-homme mi-machine, il porte les stigmates de son ancienne vie. Débris rafistolé autant que chevalier blanc de sa ville dépravée, visage de cire sur poupée d’acier, son nom n’est autre que Robocop, la nouvelle créature de Frankenstein, celle qu'on appelait, dans une autre vie, nouvelle recrue Murphy.


Nul doute que j’en reprendrai pour un dollar.

FloBerne
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le 28 janv. 2017

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