A l’occasion de sa restauration en 4K par la Cinémathèque de Bologne, le réalisateur Martin Scorsese disait du film : « Le chef-d’œuvre de Visconti peut se revoir pour toute sa redoutable beauté et sa puissance ». Tournant dans la carrière du réalisateur Luchino Visconti et des acteurs Alain Delon et Annie Girardot, l’œuvre présente une modernisation du Néo-réalisme italien. Ayant contribué à la naissance du genre avec Ossessione (1943), le réalisateur signait en 1960 avec Rocco e i suoi Fratelli, un très grand film.
Une famille italienne constituée d’une mère et de ses quatre garçons (Rocco, Simone, Luca et Cira), fuit à Milan afin d’échapper à la misère. Sur place, ils retrouvent l’aînée de la fratrie (Vincenzo). L’équilibre familiale commence à s’effriter, lorsque Rocco et Simone tombent amoureux de la même femme : Nadia.
Rocco e i suoi Fratelli est séparé en cinq parties, du nom des cinq enfants. Malgré cette structure narrative segmentée, l’ensemble est rythmé par la fraternité éphémère qui unit les garçons. De fait, au sein même de cette structure, le film est redivisé en parties implicites : l’union, l’éloignement, l’amour impossible et la déchirure. Le mélodrame s’infuse rapidement, guidant l’histoire vers le chemin de la tragédie.
Le langage cinématographique de Visconsti est très riche. Les échelles de plans se succèdent et forment un tout grandiose. Les plans d’ensemble soulignent d’une élégance fulgurante une Milan quasi-déserte ; les caméras portées nous immergent dans les combats de boxe, et les plans moyens subliment les personnages dans les décors. Comme le rappelait André Bazin dans son livre « Qu’est-ce que le Cinéma », les réalisateurs néo-réalistes choisissaient parfois des acteurs célèbres, mais, en refusaient la starification et l’esthétisation. Cependant, dans Rocco e i suoi Fratelli, les gros plans romantisent les personnages et confèrent parfois une dimension christique. L’éclairage stylise les acteur autant qu'il les dramatise.
Pour les décors, le travail de l’éclairage apporte des contrastes importants. Certains décors apparaissent comme des lieux inquiétants, presque sinistres, alors que d’autres témoignent d’onirisme et de romantisme. L’inoubliable séquence sur la cathédrale de Milan fait partie des scènes comportant les plus grands et beaux décors du film.
Delon, venant d’être dirigé par René Clément dans Plein Soleil, quitte son personnage de criminel prétentieux, pour endosser avec une infinie sensibilité le jeune Rocco. Annie Girardot, faisant ses débuts au cinéma, est absolument fascinante. Elle incarne Nadia, une prostitué. Toute la beauté de son personnage s’exprime dans sa capacité à devenir une femme puissante et attachante, devenant rapidement très importante pour le développement l’histoire. Renato Salvatori, lui, endosse le rôle de Simone : influençable, imprévisible et violent. Son jeu marque les esprits.
La musique composée par Nino Rota accompagne intensément l’ouverture du film, avec de graves et puissants cuivres. Bien que la musique se fasse assez discrète au profit de silences prenants, elle habille tantôt d’une légère mélancolie, tantôt d’un puissant fatalisme, des scènes inoubliables du film.
Rocco e i suoi Fratelli marqua une évolution pour le genre Néo-réaliste et est l’une des œuvres les plus importantes de Luchino Visconti. C’est un film magnifique d’une grande sensibilité et doté d’un scénario riche. Il est l’un des plus beaux film que j’ai vu, je le conseille grandement. La mise en scène remarquable et la justesse des acteurs forment un tout qui s’imprime pour toujours sur la rétine.
Tom-Eliott FOSSE-TAUREL