Souvent passionnant comment un film peut subir un bashing sur les réseaux juste pour des propos maladroits (voire lunaires pour certains) d'un réalisateur ou d'une réalisatrice. En l'occurence ici, Lola Quivoron, dont c'est le premier long-métrage. Sous couvert d'un jugement basé sur UNE phrase, Rodéo se mange un paquet d'insultes et d'appels au boycott. Bien sûr, l'activité susnomée a aussi un provoqué une indignation basée sur des faits divers récents. Amusant et risible de voir ce pseudo militantisme de bas niveau, quand on sait que plein d'autres films traitent de sujets dangereux voire immoraux. Enfin bref. D'autant que le film, loin d'être parfait, a des qualités qui hissent déjà assez haut la personnalité artistique de la réalisatrice.


Finalement, le rodéo est une toile de fond. Un prétexte pour dresser le portrait d'une jeune femme au sale caractère, pauvre, qui n'a qu'un seul moyen de rêver : la moto. Seulement, la "bike life" n'est pas pour autant perçue comme élogieuse. La façon de la mettre en scène est assez intelligente à ce niveau-là : au début filmée comme étant impressionnante, par les cascades réalisées, la pratique tombe très vite à plat dès le premier accident mortel (qui arrive au tout début du film.) Après ça, le rodéo ne sera filmé que quelques fois, et éparpillé. Car c'est après cet accident que la réalisatrice met en avant ce qui l'intéresse, à savoir la condition d'une femme dans ce milieu très masculin, mais qui est issue de la même situation sociale que les autres. Le choix de ne filmer que très peu sa chambre par exemple, ou de ne jamais montré ses parents, et que très brièvement son frère, nous ancre dans un quotidien très triste, et bloqué pour toujours par la pauvreté. Le fait qu'elle soit séduite par une pratique mortelle en dit long sur la volonté de vivre de Julia, le personnage principal. Pour autant, elle veut impressionner, montrer qu'elle en a sous le capot. Et ça en fait un personnage très riche car tout en nuance : entre sa détermination allant jusqu'à voler des motos devant leurs propriétaires, et sa défense verbale face aux hommes qui la méprisent, il y a cette timidité incarnée, cette introvertion maladive, qui laisse place à des moments très beaux entre des échanges de regards ou des légers moments de tendresse qui n'en font jamais trop.


J'aime beaucoup comment la réalisatrice choisit aussi de ne jamais accentuer ces scènes là. Il y a parfois un peu de tension amoureuse, voire sexuelle, mais sans jamais vraiment nous en dire sur les motivations de Julia à cet instant T.


La mise en scène laisse beaucoup place aux plans très serrés, caméra à l'épaule, ne laissant jamais vraiment respirer le spectateur et le décor. C'est assez audacieux car on aurait vite tendance à trouver ça vomitif, ou pas très inspiré. Mais il y a une vraie décision esthétique car le fait de mettre en place des scènes naturalistes nous plonge directement dans cet univers. Lola Quivoron ne les filme ni comme des anges, ni comme des dangers publics. Elle essaie de capter un peu de réel dans cette fiction, en nous montrant ces échanges et ces regards de personnages qui ne font finalement que subir ce qui leur arrive. Ils savent que c'est dangereux et illégal, mais ils n'ont que ça pour s'unir. Certains arrivent à garder les pieds sur terre, mais d'autres sont de sacrés connards. Et le fil rouge du film (les missions toujours plus dangereuses contrôlées par un type bizarre, les plans dangereux de Julia) reste très en surface car la réalisatrice s'intéresse avant tout à son personnage principal et à sa manière de s'émanciper de sa misère. Et elle arrive très bien à filmer ce désir, sans jamais donner de leçons et sans jamais défendre ce choix.


Le rythme est néanmoins assez inégal. Il est heurté par un style qui mélange parfois le naturalisme avec quelques moments de fantastique, qui sont plutôt bien faits mais rallongent certains moments qui ne me semblent pas nécessaires. La fin du film est assez symptomatique de ce problème : Lola Quivoron laisse complètement place à la symbolique qui était jusque là très suggéree, ce qui nuit à la subtilité que proposait le film à ce niveau là. Mais Rodeo est un long-métrage ambitieux : il est plein de bonnes idées et Julie Ledru est incroyable de vérité dans son personnage. Elle arrive brillament à interpréter en nuance sans jamais tomber dans l'extrême, que ça soit quand elle est perturbée, en colère, ou bien rêveuse. Un premier film singulier qui, j'espère, arrivera à vivre au delà de sa polémique.

Guimzee
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le 8 sept. 2022

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