Le créateur dont l’activité principale consiste à se questionner, à combattre avant d’obtenir une forme fidèle à ce qu’il voulait faire surgir s’intéresse forcément au travail de ses congénères. Une fascination commune, une admiration pour les génies qui ont su atteindre la perfection, souvent au prix de leur personne.
Doillon s’attarde ainsi sur Rodin, en gros bloc de séquences qui sont autant de matière brute desquels il cherche, par entailles, à faire surgir une vérité. La photo froide des ateliers constellés de giclures de plâtre, superbe, contraste avec le travail des mains et la beauté carnée des modèles, femmes nues dont les poses vont être de plus en plus désaxées, érotiques jusqu’à l’abstraction. Le travail sur le son dote la matière de sa propre vie, et Lindon, habité, la manipule en esclave démiurge. Ainsi d’une scène de trempage du manteau de Balzac dans le plâtre qui synthétise ces synesthésies créatrices.
En prolongement de ce travail, c’est le rapport à l’autre qui le nourrit, ou le détourne. C’est évidemment le lien à Camille Claudel, qui permet à Izia Higelin une partition solaire, insufflant la vie aux corps et le bonheur à l’ascèse, en attendant que le duo des géants ne s’entaille l’un l’autre. Rodin, dans l’instant, compose : sa porte des Enfers croit à mesure qu’il voit ses différentes conquêtes se presser pour lui arracher l’exclusivité.
Si les thèmes sont balisés, l’authenticité qui se dégage de ces êtres n’en est pas moins palpable. « On a travaillé sur l’intime comme personne ; comme être humain on est des misérables », conclut Camille avant de sombrer. Les échecs constants de Rodin de son vivant contribuent à faire de lui une figure de proue, et disent aussi la genèse tourmentée d’un voyant trop en avance sur les exigences des commandes d’Etat, et la conception étriquée de ce que devrait être la sculpture d’un grand homme.
C’est là que le film détone : alors que Doillon s’émerveille de voir Rodin privilégier la vérité des êtres à la beauté d’un statuaire stérile (ainsi de Balzac, qu’il propose, pour se moquer, de doter d’une plume et d’un encrier), il sacrifie pourtant à toute une galerie de sommités de l’époque ou de citations de commentaires désobligeants sur les œuvres du Maitre. Défilent ainsi Rilke, Monnet, Cézanne, Mirbeau, des lectures d’articles, dans une sorte de best of pour film d’époque, ajoutant un cachet Education Nationale assez pénible et très factice.
C’est regrettable, car inutile : Rodin le sait, lui qui crée furieusement, à l’écart des pressions. Doillon, lorsqu’il met se met au diapason du Maître, parvient lui aussi à atteindre une vérité brute, plastique et créatrice.