Il va falloir se faire une raison, plus aucun Star Wars ne sera fébrilement et longuement attendu comme ce fut autrefois le cas, le fan devant patienter au minimum dix ou quinze ans pour avoir sa ration. Depuis que Dieu... pardon Disney a racheté l'empire LucasFilm pour la modique somme de quatre milliards de dollars (et encore, j'arrondis), chaque année verra son épisode sortir en grande pompe sur les écrans du monde entier. On en voulait, et bien on va en bouffer du Star Wars.
Premier spin-off à apparaitre pour nous faire patienter entre deux épisodes plus "officiels", Rogue One intriguait dans un premier temps, l'idée de voir Gareth Edwards nous narrer l'opération qui aura permit d'obtenir les plans de la Death Star n'étant pas pour me déplaire, d'autant que cela suggérait que l'on aurait cette fois droit à un récit tenant en un seul film. Un début, un milieu, une fin, et la suite on la connait puisque montrée dans l'opus originel.
Malheureusement, alors qu'un premier teaser tendait à rassurer les plus sceptiques et à refiler à votre serviteur une sérieuse érection en béton armé, les rumeurs concernant un tournage sous pression commencèrent à pleuvoir de toute part. Départ du compositeur Alexandre Desplat parti sur le Valérian de Besson, réécritures par Christopher McQuarrie puis Tony Gilroy, et surtout reshoots en masse (on parle quand même de 40 %), laissaient suggérer que le film prenait l'eau (quand bien même ce genre de pratique est monnaie courante à Hollywood et n'est pas forcément synonyme de problèmes) et que le manitou aux grandes oreilles cherchait à rendre la chose plus acceptable, plus propre et surtout plus légère.
Au regard d'une poignée de plans visibles dans les différents trailers mais absents du montage final, des récents propos tenus par Gareth Edwards et bien entendu, du produit fini, il apparait clairement que les choses ne sont pas si simples que la sempiternelle formule: producteurs = gros méchants pas beaux cherchant à déformer la vision de l'artiste. Car si les hésitations d'un tournage que l'on sent effectivement un brin chaotique se font sentir tout au long du film, les changements apportés permettent paradoxalement au long-métrage d'aller au bout de sa démarche, là où l'on nous réservait au départ un spectacle optant pour bien plus de concessions.
Bien sûr, Rogue One souffre de scories inhérentes à ce genre de productions censées contenter tout le monde, notamment dans sa première partie. Le montage semble parfois abrupt, le schéma du script reste tout ce qu'il y a de plus classique et les retouches semblent avoir détruit totalement la caractérisation du personnage de Saw Guerrera, sorte de résistant un peu extrême interprété par un Forest Whitaker en roue libre et dont on cherche encore l'utilité. Sans compter une tendance agaçante à tout surligner au marqueur, histoire d'être sûr que le spectateur lambda ai bien tout capté et le recours à un fan-service peut-être plus discret que dans The Force Awakens mais définitivement anti-productif.
Mais passés ces défauts bien réels (auxquels on ajoutera quelques clichés et une Felicity Jones peu concernée), Rogue One va enfin pouvoir montrer ce qu'il a dans le ventre, et surtout faire taire une bonne fois pour toute les mauvaises langues voulant que Disney ne soit qu'un ogre cherchant à tout prix à rendre la saga imaginée par George Lucas adorable et inoffensive. Car non, Rogue One ne prête certainement pas à rire, et s'avère l'épisode le plus sombre depuis l'épisode 3.
Mais là où, malgré sa volonté d'offrir un opéra pessimiste et funèbre, Lucas s'était planté dans les grandes largeurs avec un Revenge of the Sith boursouflé, chiant, froid et sans aucun souffle épique, Gareth Edwards et son équipe (et donc Tony Gilroy ?) parviennent à toucher au but: donner naissance à un pur film de commando, où se mêleraient espionnage, batailles spatiales et destinées tragiques.
Tout en restant bien ancré dans l'univers Star Wars (et raccrochant les wagons avec l'épisode 4), Rogue One prend donc le risque de perdre une partie des fans, laissant volontairement de côté certains éléments cruciaux de la série (les Jedis sont juste évoqués) pour en privilégier d'autres. Une approche plus frontale en premier lieu, loin de tout aspect merveilleux et réconfortant, bien plus proche d'un film de guerre. Bien que dénué de la moindre effusion sanguine (on reste dans un Star Wars quand même), Rogue One se montre étonnamment sec et brutal (on hésite pas à coller une bastos en pleine poire à un Stormtrooper au sol), chaque coup reçu ou donné ayant un véritable impact.
Ensuite, Rogue One fait le choix de s'attarder sur des protagonistes pour la majorité nouveaux (si l'on excepte quelques courtes apparitions ou d'anciens personnages numérisés pour l'occasion, ce qui me laissera d'ailleurs avec un léger sentiment de gêne proche de la fameuse Vallée dérangeante théorisée par le roboticien Masahiro Mori), remplissant certes avant tout leur fonction et ne bénéficiant pas d'un développement profond, mais bénéficiant de données suffisantes pour accrocher.
Tentant de s'éloigner comme il peut du manichéisme habituel, Rogue One présente un microcosme plus nuancé qu'à l'accoutumée, la frontière ténue entre le bien et le mal étant véritablement au coeur du film. Si l'Empire est montré ici comme une puissance dévastatrice, rappelant par instants les fantômes de notre propre histoire (impossible de ne pas penser au Troisième Reich et à l'occupation), nous assistons cette fois à ses luttes intestines, et prenons surtout conscience que non seulement certains nous pu réellement choisir leur camp, et qu'en plus l'autre côté n'est pas forcément plus reluisant.
Loin d'être les preux sauveurs de la veuve et de l'orphelin, les rebelles sont décrits ici comme une organisation bordélique, pas encore totalement définie, et surtout composées de membres ayant du sang sur les mains. Soldats, assassins ou outsiders n'ayant plus de patrie ou de cause à défendre, les personnages de Rogue One naviguent non pas autour d'un héroïsme purement chevaleresque mais bien d'une prise de conscience, d'une possible rédemption, jusqu'à un sacrifice final qui m'aura franchement ému.
Totalement repensé car jugé insatisfaisant par Disney qui aurai encouragé Edwards à finalement aller au bout de son délire (dixit le réalisateur lui-même), le climax de Rogue One, durant trois bons quarts d'heure, offre un pur moment de spectacle grisant et décomplexé. Filmé à hauteur d'hommes et jouant parfaitement avec les différentes échelles, il vaut à lui seul le détour, flattant la rétine du spectateur tout en parvenant à atteindre un certain degré dans l'émotion, jusqu'à un final d'un jusqu'auboutisme à la fois narratif et tonal qui m'aura laissé sans voix.
Récit d'un espoir apporté dans le sang et la mort, Rogue One, bien que souffrant inévitablement d'une gestation compliquée qu'il ne cache à aucun moment et de sa nature de divertissement calibré, étonne cependant par son ton, par son approche sombre et adulte, loin de la légèreté redoutée. Bénéficiant d'une mise en scène solide (due à Edwards ou Gilroy, peut-être un peu des deux), d'un casting séduisant (Mads Mikkelsen apporte une touche d'émotion bienvenue, Ben Mendelsohn est diabolique à souhait, Donnie Yen à une classe folle en plus d'hériter une des répliques les plus touchantes de la saga, Alan Tudyk donne corps au droïde K-2SO avec un humour pince-sans-rire, Jiang Wen est badass, Riz Ahmed se sort merveilleusement bien d'un rôle tout juste esquissé et Diego Luna fait le boulot), d'effets spéciaux au top et d'une belle réappropriation des thèmes par Michael Giacchino, Rogue One rempli sa mission haut la main tout en démontrant qu'un studio surpuissant peut encore accoucher d'un spectacle bien vénère.