[Whatever] + Juliet

En deux lignes :

Roméo et Juliette tombent éperdument amoureux l’un de l’autre, mais leurs familles se détestent. Comment cela finira-t-il ? Suspens, suspens…

En un peu plus :

IMDb, la fameuse base de données recensant les films du petit et du grand écran, crédite William Shakespeare comme scénariste pour 1786 (!) films. Si cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas autant d’adaptations strictes de pièces du fameux dramaturge, cela fait toutefois de lui l’auteur dont on s’inspire le plus fréquemment. À titre de comparaison, Stephen King est considéré comme scénariste pour 358 films ou série et Marc Lévy pour 5. Sans viser à l’exhaustivité, Wikipedia mentionne quelque 150 adaptations de la seule pièce Roméo et Juliette.

On pourrait croire qu’une dizaine d’adaptations suffirait à épuiser le sujet, mais ce serait oublier le sage avertissement du prince danois de la pièce voisine : « il y a plus de choses dans le Ciel et ici-bas, Horatio, qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie ». En farfouillant un peu, on y trouve, par exemple, La furia de Johnny Kid (1967) où l’action est transposée dans un Far West spaghetti, Romeo must die (2000) où l’on fait du kung-fu, Romeo and Juliet in Yiddish (2011) où tout n’est pas toujours très orthodoxe, Warm Bodies (2013) où Romeo est un zombie,Romeo et Juliet : Sealed With a Kiss (2006) où les amoureux sont des phoques, Bring it On : in it to Win it (2007) où s’affrontent deux équipes de cheerleaders, Gnomeo et Juliette (2011) où... bref !

Dès lors, on est bien forcé d’admettre que l’adaptation de Baz Luhrmann est loin d’être la plus foutraque. Elle n’est même farfelue qu’en apparence, si l’on y réfléchit. « Ce que j’ai voulu faire avec Roméo et Juliette, c’était m’imaginer comment Shakespeare adapterait une de ses pièces s’il était réalisateur. Comment s’y prendrait-il ? » Et Luhrmann de poursuivre en relevant que si Shakespeare devait s’adresser à la haute société comme aux plus basses classes, tout en devant faire face à la compétition qu’offraient, en termes de divertissement, des combats opposant des ours et des chiens ou la prostitution, il avait intérêt à se montrer inventif et diablement séduisant pour conter une histoire chargée de sens. Le défi n’a en définitive pas beaucoup changé depuis.

Comment faire donc, pour rendre la pièce de Shakespeare compréhensible et plaisante pour chacun, sans pour autant la vider de sa substance ? Afin d’y parvenir, Luhrmann choisit pour scène une Amérique sous stéroïdes, MTVesque, aux couleurs sursaturées. La belle Verona Beach, où nous plaçons notre scène, n’est pas sans évoquer irrésistiblement sa cadette vidéoludique : Los Santos.

Plutôt que d’adapter la pièce à la société moderne, Romeo + Juliet s’emploie ainsi à adapter la société moderne à la pièce. Le texte d’origine est ainsi largement conservé : « Est-ce pour moi que vous mordez votre pouce, Monsieur ? » sans que le sens n’en soit perdu. L’ambiance années 2000 élisabéthaines qui en découle a quelque chose de parfois grotesque, parfois poétique, mais toujours efficace, épithètes qui, non contents de s’appliquer au matériel initial, en font la grandeur.

Dernière chose : cette adaptation réussit le tour de force de rendre compte du propos de l’œuvre là où d’autres se contentent de surfer sur l’idée qu’en a le grand public. En effet, bien que Roméo et Juliette soient devenus les archétypes du grand amour contrarié, le film n’oublie jamais que la pièce traite moins de l’« amour vrai » que de la folie furieuse. Et Dieu sait que Verona Beach est un lieu de furie et de folie.

Punaise, je serais curieux de voir Rosaline (2022), du coup, mais je crains d’être déçu.

Et en quelques images...

Lien vers la bande annonce alternative.