Bien plus transgressif que la trilogie récente du Bon Dieu (Philippe de Chauveron, 2014, 2019 et 2021) où le racisme ambiant se voyait conforté selon l’adage « tous racistes, plus de racisme », Romuald et Juliette articule une réflexion sur le métissage avec une étude sociale faisant dialoguer deux milieux distincts que réunit un concours de circonstances. L’intelligence du scénario de Coline Serreau réside dans son approche progressive, utilisant la spontanéité des actions et des réactions du duo principal comme antithèses aux magouilles minutieusement préparées et exécutées des associés véreux de la compagnie : malgré un montage alterné séparant d’abord ledit Romuald et ladite Juliette, c’est au travail qu’il se retrouvent, l’une s’improvisant conseillère de l’autre, outrepassant les prérogatives imposées par son statut, négligeant celles du PDG avec lequel elle s’entretient. Ce choc devient métaphore d’un coup de foudre, au sens propre et figuré : il est l’élément déclencheur de la révolte des protagonistes qui prend l’aspect pour lui d’une vengeance, pour elle d’un accélérateur social – illusoire dans un premier temps, concrétisé ensuite – symbolisé par la panne de l’ascenseur de l’immeuble réparée à terme. Les deux pôles s’attirent alors, les vêtements de l’appartement haussmannien sont lavés dans la baignoire de la cité HLM, la femme de ménage accède au club de tennis privé que fréquente la famille Blindet qui, comme son nom l’indique, est « blindée ».
Ce match s’interrompt heureusement, puisqu’il fallait qu’il en soit ainsi : la réalisatrice refuse l’image d’un riche pouvant tout s’acheter et aider les plus défavorisés, naïveté digne des mauvais programmes diffusés à l’approche des fêtes ou cultivés par tout un pan de la dark romance contemporaine, lui préfère la fierté et l’indépendance d’une femme n’appartenant à personne. Et si l’amour triomphe, il ressemble à un compromis complété ad vitam et introduit la notion d’identité métissée, en témoigne la séquence à la mairie, jubilatoire. Les comédiens apportent beaucoup de profondeur et de chaleur humaine à des personnages que Coline Serreau se plaît à densifier, prête à écarter toute logique et tout discours raisonnable au profit d’un accès quasi sacré à la clairvoyance par le biais des sentiments. Une belle réussite.