La scénariste et réalisatrice Stéphanie Di Gusto présente avec ce film son deuxième long-métrage (après La Danseuse, nommé au festival de Cannes 2016 dans la catégorie Un certain regard).
S'inspirant à nouveau d'un personnage réel, Clémentine Delait, la femme à barbe, la réalisatrice n'en fait pas un biopic, mais une adaptation libre d'une femme sensible et pleine de charme, Rosalie, atteinte d'hirsutisme, cet horrible nom scientifique donné à son trouble.
Evitant avec soin l'écueil de montrer cette femme comme une bête de foire, dans un cirque ou un bordel, comme c'était le cas à cette époque, Stéphanie Di Gusto nous livre une puissante histoire d'amour, authentique et sincère, mais ô combien difficile et semée d'embûches. Ceci fait de ce film une réussite, pleine d'émotion et d'épaisseur humaine qui rend les personnages attachants pour certains et repoussants pour d'autres !
Situé au sortir de la guerre de 1870, traumatisante pour la France, le film met en scène une société ouvrière pauvre, sous le joug de patrons tyranniques et d'un clergé insensible aux préoccupations des hommes, d'autant plus cruel que Rosalie voue une croyance inconditionnelle à Dieu pour que la société l'accepte comme elle est !
Pour bien dépeindre l'ambiance de relations humaines bousculées par l'arrivée de Rosalie chez Abel, ce patron de bar usé par la guerre et acculé par ses dettes, la réalisatrice tourne cette fiction dans une ancienne forge au centre de la Bretagne, un village entier, vide, et entretenu par ses propriétaires depuis la fin du XIXe siècle.
Pour le film, la forge devient une blanchisserie, dirigée par l'implacable et tout puissant Barcelin, au comportement ambiguë, et qui empêche toute distraction à ses ouvriers: ainsi, il met la pression à Abel pour lui vendre son bar, peu fréquenté, du moins avant l'arrivée de Rosalie.
Comme le dit le synopsis avec trop de détails, la rencontre entre Abel et Rosalie est bassement matérialiste et peu glorieuse : présentée par son père, et très malheureuse de devoir cacher sa différence, Rosalie est plutôt jolie et richement dotée, ce qui pousse "logiquement" Abel à la prendre pour épouse.
Découvrant inévitablement le trouble de Rosalie, Abel l'accepte très mal et commence par la rejeter avec force, mais peut-on lui en vouloir tellement les stéréotypes de genre sont ancrés en nous depuis la nuit des temps et encore aujourd'hui, malgré les dernières évolutions ?
La réalisatrice montre avec efficacité et non sans paradoxe, comment Rosalie va s'épanouir et susciter le bonheur quand elle va enfin pouvoir devenir elle-même, et le bénéfice qu'Abel va en tirer pour son activité, par la curiosité malsaine des habitants, et la soudaine fréquentation de son bar par les ouvriers de la blanchisserie. Ce qui aurait pu devenir un désastre, conduit au contraire à créer une alchimie progressive et créer une relation amoureuse improbable entre eux. Stéphanie Di Gusto nous le montre avec subtilité et une grande profondeur des sentiments.
Par jalousie, ambivalence, cruauté et préservation de son entreprise, profitant d'un événement malheureux, Barcelin ne manque d'essayer de détruire cette relation, y arrivera-t-il, aidé en cela par un clergé sourd à toute humanité ?
La fin inattendue (ou pas selon la perception qu'on en a) ne manque pas de déclencher une émotion qui met à la torture nos glandes lacrymales !
Pour réussir une si belle et puissante réalisation, la réalisatrice a su mettre en valeur et diriger 3 acteurs principaux exceptionnels :
- Nadia Tereszkiewicz dans le rôle de Rosalie (des retrouvailles puisqu'elle avait un second rôle dans La Danseuse), pour moi une vraie révélation, tout en sensibilité intérieure et extérieure et qui illumine le film dans son corps de femme à barbe quand il est enfin libéré; un rôle de composition demandant sûrement des heures de préparation pour rentrer dans le "peau" de son personnage;
- Benoît Magimel excellent dans le rôle d'Abel, cet homme déboussolé, accablé de dettes, et qui finit par accepter progressivement Rosalie comme elle est au point de l'aimer intensément;
- Benjamin Biolay, surprenant de vérité dans le rôle de ce méchant, même si ce long-métrage n'a pas de connotation manichéenne, Barcelin étant un personnage plus complexe qu'il n'y paraît, et l'acteur le fait très bien sentir !
En synthèse, un grand film à voir de Stéphanie Di Gusto, à la fois sur la complexité des relations humaines, les mystères de l'amour, et la difficulté d'accepter nos différences quand elles ne correspondent pas au stéréotypes en vigueur; ce serait d'autant plus vrai aujourd'hui avec la caisse de résonance des médias sociaux !