Un film rêvé pour bourgeois
Jouer à s'approcher de l'image documentaire - position depuis longtemps devenue celle d'un académisme qui n'a rien à envier en la matière au pseudoréalisme du cinéma américain contemporain - est sans doute une des options esthétiques les plus paresseuses qui puisse se trouver dans le cinéma d'auteur. [NB je ne parle évidemment pas des faux documentaires, pour lesquels cette proximité est une nécessité, évidemment. Mais Rosetta n'est pas un faux documentaire, c'est une fiction normale avec des images qui copient celles du documentaire] Ce film en fait un usage permanent, de l'image pseudo-docu; c'est dire si les commentaires admiratifs sur sa beauté sont dignes d'intérêt. Mais c'est pas tout. Parce que non content d'être un film de merde, c'est aussi un crachat dans la gueule.
Ben oui, le choix de l'image pseudo-docu n'est pas juste le résultat de la paresse esthétique des frères Machin: c'est aussi un excellent moyen pour hisser leur personnage au statut d'archétype - du pauvre, en l'occurrence. Et donc, à quoi ça ressemble un pauvre, pour un frère Dardenne? C'est une ordure sans scrupules, sans éthique, prêt à dénoncer son collègue pour gratter un peu plus. Les Dardenne nous le forcent bien, le trait, au cas où on n'aurait pas compris. Ils se contentent pas de ça, notez: parce que leur petite merde sans scrupules, ils nous la filment comme on se penche au-dessus de l'épaule de quelqu'un en le trouvant, ma foi, si touchant. C'est ça un pauvre, pour eux: il a pas d'éthique, mais il peut pas, l'éthique c'est trop cher, elle a encore pris trois points aux cotations du second marché ce matin, 'faut les comprendre ils ont pas les moyens. Tu m'étonnes que ça a plus à Télérama et que ça a fait un tabac chez les bourgeois! Rosetta, c'est LA pauvre rêvée. Celle qu'on peut mépriser, mais en même temps plaindre. Pas besoin de chercher plus loin le succès de cette bouse fumante.
Et les Dardenne n'ont pas lésiné en interview pour lever tout doute possible; j'ai souvenir d'une interview dans Télérama - tiens, justement eux -, pour la sortie de l'Enfant (je préférerais m'arracher une couille avec mes dents plutôt que de subir son visionnage, mais pour ce qu'ils en disaient c'était visiblement un Rosetta 2 - les pauvres reviennent, plus que jamais ordures, plus que jamais à plaindre) où ils le tenaient textuellement, le discours à la con sur les pauvres qui n'ont pas les moyens d'avoir une conscience.
Quand j'ai vu ce film, j'étais au RMI - l'équivalent du Minimex que touche leur personnage. Ce film prétendait donc parler de moi. Alors, je vais être on ne peut plus clair: je les conchie. Les pauvres sont pas forcés d'être des ordures, et la pauvreté n'a jamais été une excuse pour en être une.
PS. Étant donné que les Dardenne ont gagné la palme d'or deux fois à Cannes, une pour ce film, une pour l'Enfant, et une fois le grand prix spécial du Jury; et étant donné que Cannes est la ville la plus laide et la plus répugnante dans laquelle il m'ait été donné de vivre, je lance une pétition pour que cette ville soit rayée de la carte, rasée aux fondations, puis qu'on retourne la terre, qu'on la saupoudre de sel et qu'on la voue aux dieux infernaux; rien de bon n'en sortira plus jamais, de toute façon.