Le film raconte l'histoire d'une crise conjugale ; celle de Henri et de Françoise, le premier ayant trompé son épouse, cette dernière décidant de quitter le foyer. Dès qu'elle trouve un petit appartement, elle veut s'émanciper en trouvant un emploi chez un grand couturier, et elle va être courtisée par son voisin de palier.
Quand on évoque Jacques Becker, on pense le plus souvent à la trinité Le trou - Grisbi - Casque d'or. Or, il serait dommage de passer à côté de ses autres films, dont Rendez-vous de Juillet, Edouard et Caroline, Antoine et Antoinette, et celui-ci, qui nous montrent la France et la jeunesse de cette époque. C'est d'autant plus vrai pour Rue de l'Estrapade, où le mari, joué par Louis Jourdan, est un pilote automobile, laissant à son épouse l'entretien de leur appartement.
Malgré le début qui peut faire penser à un drame passionnel, c'est une merveille de comédie, avec un rythme qui fait vraiment penser à du screwball, et où Anne Veron, qui joue l'épouse bafouée, fait des merveilles, aussi bien avec son corps qu'avec son débit de paroles. D'ailleurs, c'est amusant de constater que l'homme qui la convoite n'est autre que Daniel Gélin, lequel jouait son époux dans Edouard et Caroline ; on sent la complémentarité du duo, bien que leurs personnages soient différents. Mais on assiste en filigrane à l'émancipation de la Femme (avec le F majuscule) qui, profitant de cette incartade de son mari, va vouloir prendre son destin en mains, à savoir trouver un travail. D'ailleurs, elle choisit de travailler dans la confection de vêtements, sans doute un clin d’œil de Jacques Becker à son amour du milieu du mannequinant, d'où sa mère fut issue.
Outre ce trio infernal, il y a un autre personnage intéressant, mais peu développé ; le patron de la société de couture, incarné par Jean Servais, et qui est clairement dit qu'il n'est pas attiré par les femmes. Ce n'est jamais appuyé, mais j'apprécie que le cinéma français de 1953 évoque la personne d'un homme dit différent.
L'histoire concerne clairement le triangle amoureux, car on a quelques scènes filmées dans un circuit automobile, mais ce n'est clairement pas ce qui intéresse le réalisateur. D'ailleurs, c'est superbement filmé, avec un soin particulier porté (encore !) aux costumes, où les hommes ne sont pas toujours en costard-cravate, et les femmes ont l'air de gravures de mode.
A part peut-être la convention finale lors des dernières secondes, plus moralisatrices qu'autre chose, Rue de l'Estrapade est un film vraiment formidable, qui va à toute allure, et qui a pour ce rythme fou, et des acteurs excellents.