Voici du cinéma français à l'ancienne, typique des années 50, réalisé par Denys de La Patellière mais qui aurait tout aussi bien pu être réalisé par Gilles Grangier, ces deux là étant les pourvoyeurs de Gabin à cette époque. C'est un film sympathique sur un conflit de générations sur fond de France d'après-guerre qui se modernise, on y voit les tours de béton qui commencent à grimper à Sarcelles. Ce qui est curieux, c'est que Gabin y incarne un ouvrier comme ceux qu'il campait chez Carné ou Duvivier dans les années 30, alors qu'à cette époque, en 1959 il avait monté dans la hiérarchie sociale et jouait plutôt les bourgeois installés. A ce titre, la confrontation entre le père prolo adepte de la valse musette et du p'tit blanc, et l'amant de sa fille, grand bourgeois roulant en voiture américaine et écoutant une messe de Bach, est très savoureuse, on reconnait le sens du dialogue percutant d'Audiard qui se plie ici à du dialogue populiste.
Le verbe d'Audiard donne en effet une vraie identité à ce petit monde prolétaire attachant qui fréquente les bistrots et se passionne pour le vélo. Gabin est très juste dans sa figure de prolo au grand coeur, il est très bien entouré par certains comparses comme Paul Frankeur qu'on retrouve dans tous ses films à cette époque, mais aussi par de grands acteurs qui occupent de petits rôles, souvent lors d'une seule scène, comme Paul Mercey, Bernard Dhéran, Jacques Monod, François Chaumette, Renée Faure, Louis Seigner, Alfred Adam, Albert Dinan... Les rôles principaux autour de Gabin sont occupés par de jeunes acteurs prometteurs comme Claude Brasseur, Marie-José Nat (que j'avais rarement vue aussi jeune et aussi mignonne) et surtout Roger Dumas dans un rôle ingrat de fils cadet instable. On y voit même dans leur propre rôle Léon Zitrone et Raymond Marcillac dans des commentaires sportifs.
La partie procès est traitée un peu à la va-vite vers la fin, c'est dommage, il y avait matière à approfondir ; en ce sens, le film manque un peu d'éclat, mais c'est quand même une sorte de petit classique qui constitue une bonne chronique socio-familiale, c'est du vrai cinéma de papa, nostalgique et à l'ambiance chaleureuse dans un Paris populaire qui a disparu à jamais.