Voilà un film que j'ai vu il y a très longtemps et qui était inaccessible en DVD. Puis, en lisant la critique d'Ugly sur SC, j'ai su qu'il était sorti à la télé récemment et par conséquent qu'il allait être mis sur le marché. Ce qui n'a pas loupé.
"Rue des Prairies" est un film tourné en 1959, de Denys de la Patellière qui a régulièrement mis en scène Gabin dans divers registres que ce soit en chef d'une grande famille bourgeoise, en flic, en vétérinaire retiré et alcoolo, en truand. Il manquait à la panoplie contremaître.
Le film raconte une tranche de vie dans laquelle Jean Gabin, veuf, s'occupe seul de trois enfants dont un, le cadet, adopté. En grandissant, les trois enfants suivront des itinéraires différents ; les deux premiers réussissent dans la voie qu'ils prennent mais s'écartent du père qu'ils finissent par trouver trop présent ou trop autoritaire. Le dernier, qui adore son père mais ne le montre pas, accumule les bêtises, se bagarre bien souvent pour défendre l'honneur de son père et finit par avoir de sérieux problèmes.
Encore une fois, on voit Gabin capable de jouer à peu près n'importe quoi. Ici, il va endosser un rôle de contremaître (chef de chantier), en fait, pour tout dire, d'ouvrier qui a pris du galon. Avant-guerre, il a tenu bon nombre de rôles d'ouvrier. Ici, étant donné son âge et sa "stature", il est logique que Denys de La Patellière en ait fait un (petit) chef. Ce qui n'empêche nullement que le personnage que joue Gabin ne renie en rien ses origines et apprécie la sortie du dimanche à la guinguette au bord de l'eau, le bal musette et le petit coup de blanc sur le pouce au bar avec les collègues.
Aidé des savoureux (comme d'habitude) dialogues d'Audiard, Gabin est complètement dans son élément. Le spectateur aussi, d'ailleurs.
Roger Dumas joue le rôle du fils adoptif, semblant rebelle à l'autorité, prêt à en découdre lorsque sa famille est en cause. Je le trouve excellent dans son jeu et même très touchant. Et je me plais à imaginer le chemin qu'il va suivre pour devenir le brillant second rôle qu'on connait et apprécie dans ses films ultérieurs. C'est vrai qu'il conservera toujours ce regard ou ce genre un peu revêche, un peu râleur.
Il se mariera avec Marie-José Nat qui joue le rôle de la fille de Gabin et, par conséquent son frère.
Le troisième de la fratrie est assuré par le jeune Claude Brasseur dans le rôle du champion cycliste.
Le reste du casting rassemble bien des acteurs qu'on voit souvent à l'époque et pour éviter de trop perturber le spectateur, Denys de La Patellière a pris soin de les placer dans des rôles plutôt habituels. Paul Frankeur en habituel pote à Gabin. Jacques Monod et Louis Seigner en habituels hommes de justice.
Alfred Adam en habituel magouilleur pas clair malgré son entregent qui le rendrait avenant.
Ensuite, il y a François Chaumette. C'est le dirlo du lycée où se trouve Roger Dumas. Je ne dirais pas que c'est sa fonction habituelle mais son personnage est habituellement antipathique et méprisant.
Même Léon Zitrone est en habituel commentateur de la télévision.
Le film est une belle photo d'époque avec la rue des Prairies, sympa avec ses stands du marché et le bistrot où tout le monde se connaît et ne se prend pas la tête. Témoin les scènes au bistrot où Gabin explique, assis sur une chaise, aux ignares la stratégie d'une course de vélo. Le film oppose aussi les manières de vivre populaires à celles des milieux plus bourgeois. Témoin la scène, quasiment d'anthologie, entre Gabin en salopette et casquette qui rend visite au fiancé, très smart, de sa fille dans son appartement design baigné par la douce Messe en si mineur de Bach, qui a le don d'horripiler Gabin et surtout, de mesurer l'écart entre les deux bonshommes.
J'aime bien ce film très sympathique qui montre l'évolution des mentalités dans les années 60 où le père (Gabin) semble perdre ses repères face à ses deux enfants ainés dont il tente de s'opposer à leurs comportements qu'il estime amoraux alors que tout simplement, la société est en pleine mutation.
Nostalgie, oui mais ouverture vers un futur possible auquel on finira bien par s'y faire...