Film de vampires, film d'invasion extraterrestre ?


Rupture est présenté comme un film d'horreur mais il s'agit bien plus de tension et d'angoisse que de gore à proprement parler – même si une petite dose de bizarrerie nous est réservée. Steven Shainberg lui, brille jusqu'à présent par l'anonymat de ses travaux et si ce métrage fait montre de technique (lumière travaillée, cadre visiblement pensé et montage au millimètre), le scénario ne dénoue jamais l'intrigue et



passées les émotions viscérales du métrage, l'impression de vide domine tristement à l'apparition du générique final.



Sans rupture.


Une mère célibataire est kidnappée, transportée de longues heures jusqu'à un bâtiment hermétique dont elle ignore la position. Maintenue en cellule, ligotée, elle subit les étranges et inquiétantes visites de ces ravisseurs qui se permettent alors quelques manipulations douteuses. Tout ce qui compose là les décors et l'image est excessivement travaillé, un peu trop même car, sous la vivacité naïve des couleurs, 


l'objet prend souvent des allures de film d'école.



Une impression qui s'amplifie dans le découpage et le choix inapproprié de la caméra épaule pour de nombreux plans fixes qui auraient gagné en tension sur pied, coupés au millimètre d'une symétrie légèrement décalée : là où le réalisateur tente l'hommage à Stanley Kubrick dans le motif du papier peint qui rappelle la moquette de l'Overlook Hotel de Shining, l'on se dit qu'il eut mieux fait de réellement s'inspirer du travail du maître, de composer plus sérieusement, plus minutieusement, ses plans en y cherchant une oppressante intensité, et de doser sa lumière avec parcimonie vers quelque chose de plus sobre – loin de cette lumière bariolée où le rose fluo envahit les conduits d'aération – et de plus réaliste. Dans



les atermoiements sinueux du scénario,



il y a largement de quoi composer une symphonie de l'angoisse là où Steven Shainberg se contente d'une morne ambiance forcée qui manque foncièrement de caractère sous l'avalanche nauséeuse de couleurs vives et saturées. Néanmoins, autour du personnage principal, la dynamique narrative fonctionne relativement bien et les séquences enchaînent angoisse, espoir et suspense avec fluidité. L'ensemble pourrait alors séduire si son dénouement tentait une explication franche, si l'héroïne s'y sublimait pour sauver sa peau et sa progéniture : le film se termine autrement et cette soumission qui clôt la narration ne dit finalement rien d'autre au spectateur que meuf, parfois, c'est la merde. Un message bien plat, décevant. Tout ça pour rien.



Cette fin excessivement ratée,



qui laisse le spectateur comme un adulte devant le récit incohérent d'un enfant, donne brusquement l'impression d'avoir regardé le préquel d'une explication à venir, d'un film d'invasion, sans en avoir été au préalable informé.


Noomi Rapace, une nouvelle fois, tient le film sur ses épaules. Sa composition n'a rien de surprenant pour qui apprécie son travail, sa prestation n'apporte rien de vraiment neuf depuis d'autres rôles similaires qu'elle a déjà pu incarner : 


elle habite d'une rare intensité cette femme entre deux eaux de colère et de résignation,



la fait vibrer, et nous avec, d'angoisse aux tripes. Sert le frisson avec délice et délectation. Pour autant l'actrice ne fait pas non plus de miracle, elle incarne mais n'écrit pas : l'erreur monumentale de compréhension de ce personnage principal qui rejoint sa cellule avant ses bourreaux pour s'offrir à leur volonté lorsqu'elle est pourtant cachée dans les conduits de ventilation vient, au cœur du film, saborder franchement pour un trop long moment l'identification et la vraisemblance de la narration.


Point de rupture donc, dans cette série z aux grandes promesses ratatinées sous l'inepte non-sens final. Steven Shainberg joue le film d'horreur de deuxième année d'école, avec 


un vrai sens du rythme mais aucun goût pour l'image.



Les amateurs de sensations macabres y trouveront un moment leur compte avant de déchanter en se rendant compte qu'ils ont été baladés pour si peu, et si Noomi Rapace y est excellente, dévore l'espace de néant laissé vacant par le récit, l'intérêt du métrage ne réside finalement que dans la fascination à ses beaux et doux yeux brisés, à ses regards de vérité brute.

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