J'ai mis longtemps avant de vouloir regarder ce documentaire qui concerne le pays de mes parents. La peur de connaître l'indicible, la peur de raviver une douleur refoulée et de soulever le tabou. Rithy Panh dans ce documentaire a réussi à mobiliser le courage des rares victimes survivantes à revenir sur un lieu de souffrance et à parler de cette époque immonde. Mais surtout, le plus fou, c'est qu'il a réussi à confronter ces mêmes victimes, à certains de leur bourreaux : des enfants embrigadés à l'époque pour tuer au nom d'Angkar et de la machine de mort khmère rouge. On se demande comment cela est possible ! Pas d'animosité, ni de remords, ni de désir de vengance, ni d'excuses ou d'accusations chez les uns ou chez les autres lors de ces échanges.
Il ne transparaît que le besoin de comprendre - objectivement - ce qui s'est passé par des reconstitutions de vie à l'intérieur de Tuol Slang, lieu de torture pour faire parler les "opposants" du régime. Photographies, archives font parler les anciens bourreaux, eux aussi victimes d'un système qui leur a enlevé toute humanité et qui les a transformé en tueurs. Comment redevenir humain quand les ravages d'un génocide vous a tout pris ?
Il n'y a plus d'émotion dans leur voix, leur regard est vide. Seul l'artiste rescapé de la prison réussit sans montrer sa douleur ni sa colère, à leur extirper quelconque témoignage, informations sur ce temps révolu. Il n'y a pas de cris, de disputes violentes ni d'échanges agressifs entre les deux camps, si ce n'est la culpabilité des deux côtés : les uns pour ne pas avoir sû distinguer le bien du mal et la honte de leurs actes, les autres pour avoir survécu à cette tuerie massive.
Un travail magistral et impressionnant malgré le peu de moyen. Un film qui en dit long sur le système des Etats totalitaires.