Entre 1975 et 1979, les Khmers Rouges dirigent le Cambodge et le transforment en état totalitaire de la pire espèce. Camps de concentration, "rééducation" de la population, torture et massacre, le pays connaît quatre années de terreur. Le terme de "terreur" n'est pas exagéré : c'était la méthode de gouvernement instauré par Pol Pot et ses sbires. Diviser la population pour dresser les uns contre les autres, installer un climat de paranoïa permanente en montrant en chaque personne un ennemi potentiel de l'état (donc du peuple) : les moyens employés ici sont les mêmes qui avaient déjà prouvé leur efficacité dans tous les autres états totalitaires. Le résultat dépasse l'entendement : 2 millions de morts, soit plus du quart de la population (qui, avant l'arrivée des Khmers Rouges au pouvoir, comptait 7,7 millions de personnes).
S21 est un camp de prisonniers situé à la capitale, Phnom Penh. Là, des centaines de prisonniers sont interrogés, torturés, détenus dans des conditions inhumaines puis emmenés au loin pour y être exécutés. Et avec un sadisme extrême, les dirigeants du pays ont choisis une partie de la population pour exécuter les pires tâches.
Le documentaire de Rithy Panh met face à face d'anciens prisonniers et d'anciens bourreaux. Et nous montre le fonctionnement quotidien du camp.
Fort heureusement, tout se fait d'une façon calme, presque sereine. Le cinéaste évite toute image choquante, toute volonté de montrer l'horreur, de mettre des images sur les monstruosités commises entre ces murs. Il n'y a quasiment aucune image d'archive. Nous n'avons que des images actuelles, des hommes qui parlent entre eux, qui peignent leurs souvenirs ou qui consultent les documents laissés derrière elle par une administration de la mort. Aucun pathos, aucun plaisir malsain à vouloir montrer la mort et la violence.
Là où le documentaire est formidable, c'est qu'il nous incite à aller plus loin que le simple cas cambodgien. Si on connaît un peu d'histoire, on se rend facilement compte que les procédés employés dans ce petit pays asiatique sont les procédés classiques de la répression des états totalitaires. Une propagande qui fonctionne comme un véritable lavage de cerveau ("Nous ne savions pas pourquoi on les arrêtait, mais si l'Angkar [le Parti unique] l'avait dit, alors on devait le faire, car il savait mieux que nous ce qui est bon pour le pays"). Une propagande qui réussit à transformer d'honnête paysans en tortionnaires zélés.
Le ridicule des accusations de sabotage est également un des points communs. Au début, on apprend qu'un des hommes a été emprisonné parce que, dans l'usine textile où il travaillait, il coupait de trop grandes chutes de tissu et que des aiguilles étaient cassées ; ce ne peut être qu'un acte de trahison contre l'état !
Au-delà, c'est le délire de contrôle de toute la population, de tous les aspects de la vie de chaque habitant, qui est le moteur de l'art totalitaire de gouverner. Ainsi, quand on entrait dans le Parti, il fallait écrire sa biographie, en ajoutant surtout tous les défauts, tous les mauvais actes que l'on avait pu faire. Ainsi, un des témoins affirme qu'on lui a dit d'écrire qu'à une époque, il était amoureux d'une fille (défaut terrible, car c'est "un sentiment de rêveur", qui éloigne des préoccupations quotidiennes).
Le dernier aspect évoqué ici est tout aussi important : la réconciliation est-elle possible ?
Un documentaire intéressant, peut-être un peu lent mais qui, au-delà de la mémoire, incite à la réflexion.