Cher Harold
En cette morne journée d'automne, c'est bien la tristesse qui dicte les mots. Une tristesse qui s'est accumulée pendant toute le visionnage de ce nouvel opus Ghosbusters et dont cette missive sera la saignée curative. Si Aristote annonçait en son temps que « La nature a horreur du vide », le cinéma de Paul Feig, au contraire, s'en délecte. J'ignore si l'au-delà où vous résidez actuellement ressemble à une cité perchée dans les nuages, mais je vous remercie de ne pas avoir effectué une réincarnation ectoplasmique dans ce film. Votre apparition sous forme de buste en bronze a soulevé chez moi bien des élans de nostalgie et a nourrit ma verve épistolaire.
Pourtant, j'étais assez enthousiaste de découvrir ce nouveau chapitre, non pas que j'apprécie l’œuvre de M.Feig et les performances de Mme McCarthy, mais par esprit de curiosité. Si l'univers du réalisateur et de l'actrice, principalement orienté blagues scatophiles, vulgarité culturophobe et grossièretés gratuites, ne m'ont que rarement convaincue, je décidai de garder malgré tout l'esprit ouvert, garant de toute curiosité intellectuelle. Et puis, me disais-je, il y a toujours quelque chose d'excitant quand un artiste tente de se réapproprier l’œuvre d'un autre en y apportant les touches de sa personnalité. Pourtant, le constat post séance fut déprimant, car au-delà de la puérile comparaison entre votre film et celui de Feig, un sentiment déprimant m'envahit, la sensation que mon esprit s'était infusé deux heures durant dans une vacuité intangible.
Harold, laissons de côté les discours stériles comparatifs et accordons-nous le devoir d'observer ce film dans une dimension absolue. Le film se présente comme une comédie fantastique à fort coefficient familial. Un quatuor de femmes luttent contre des fantômes et sauve la ville de la destruction. Si l'intrigue demeure dans les canons du genre, c'est à dire d'une grande aridité, elle n'est en rien contre balancée par une narration grandement hachée et des dialogues sans esprit. Étonnement, les joutes verbales restent très sages, Feig n'imposant jamais sa personnalité outrancière. Plus étonnant encore, McCarthy adopte un langage retenu où aucune vulgarité ne vient transpirer. S'il faut bien reconnaître un certain talent, ou au moins un savoir-faire au duo pré cité, c'est bien cette capacité à créer des situations comiques par le truchement d'éléments scatophiles, sexuels et vulgaires. Je me suis donc retrouvée déconcertée devant ce film bien sage et impersonnel. Les gags ne parviennent jamais à arracher un sourire car Feig édulcore ses personnages pour les adapter à la matrice de la comédie familiale. Ce qui aurait dû être grossier et idiot devient simplement idiot et fade. On devine aisément Sony et Columbia, suspendus tels une épée de Damoclès sur la créativité de Paul Feig. Ce dernier menotté et McCarthy muselée, il ne reste rien à ce pauvre divertissement pour s'élever au-dessus de la platitude.
Pour 156 millions de dollars, on a droit au déluge d'effets numériques habituel. La mise en scène ne s'élève pas bien haut, allaitée entre paresse et mollesse. L'aspect général du film est très coloré, l'esprit cartoon opère et s'intègre parfaitement à l'idée de divertissement familial calibré. Le casting récite son texte, aucune personnalité n'émerge du naufrage car il n'y a rien à quoi se raccrocher. Paul Feig est tout désigné pour la prochaine adaptation du Titanic. Même le très imberbe Chris Hemsworth n'arrive pas a m'émoustiller malgré sa scène de thortillage de fessier. Et pour compléter cette distribution insipide et finir d'achever les derniers soubresauts de mon indulgence, la production s'est cru obligée de faire revivre les gloires du passé dans des caméos grotesques à la limite de gênant. Comment ne pas réprimer un sanglot devant ce Bill Murray attifé comme une marionnette d'exposition, un Dan Aykroyd aux lignes de dialogues d'une rare pauvreté ou encore une Sigourney Weaver toujours aussi belle mais à l'apparition plus que dispensable. Pourquoi convoquer les acteurs originels pour un film qui n'est pas destiné aux fans de l'épisode premier ? Seul vous, cher Harold, immuable sur votre socle, posez un regard imperturbable sur ce long tunnel de vacuité.
J'arrive enfin au terme de cette lettre, dont l'aspect cathartique peine à se dévoiler. Je dois Harold, vous avouer, que ce film m'a fait réaliser à quel point des hommes tels que vous manquent au cinéma en général et à moi en particulier. Inutile de le nier, j'attendais de ce film, non pas une relecture intelligente du votre mais simplement l’avènement d'un héritier qui aurait eu le courage de reprendre le flambeau ou la liberté du ton. Quelle déception, quel gâchis, toute cette énergie aspirée pour un résultat aussi formaté et impersonnel. Quelle amertume devant cette nouvelle victoire de l'argent devant l'art et la créativité. Ce film met une fois de plus en avant la désastreuse politique de production hollywoodienne où la confiance est une donnée qui figure aux tréfonds d'un bilan financier. Je reste amère devant cette résurrection, un nouveau pillage pour avouer le manque d'idées neuves.Si le Maccarthysme se limitait auparavant à la chasse aux sorcières, il se décline maintenant en chasse aux fantômes.