Take Shelter
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Tout au long de l’exposition de Safe, on se surprend à se dire que Todd Haynes est en train de faire une adaptation de Mme Bovary qui avancerait masquée. Ce portrait des desperate housewives, entre baby shower, salle de gym et salons aux teintes pastels est en tous points une transposition de l’univers normé et anxiogène d’Emma, où l’acidité du regard se fait par un silence d’une rare pertinence, par un cinéaste présent partout, mais visible nulle part.
Il suffit d’ajouter quelques nappes d’ambient electro, lorgnant du côté des ambiances de Lynch, et de travailler les dialogues au cordeau pour parfaire l’ensemble. Dans cet univers où tout est prévisible, inutile de terminer ses phrases : comme le dit une amie, « You don’t even wanna know ». Carol passe son temps à asséner « I’m fine » ou « It's just.. » « I’m just… » sans pouvoir poursuivre, à mesure que les symptômes peut-être psychosomatiques de son mal se répandent.
Ce personnage en perdition, ce milieu étouffant et les voies de rémission qu’elle va choisir, ambiguës dans leur honnêteté ou leur déviance, sont les ingrédients qui font de ce récit un véritable et prenant film d’horreur, dans la lignée d’un Take Shelter, voire du barré Bug de Friedkin.
Julianne Moore prouve, mais était-ce encore nécessaire, qu’elle peut absolument tout interpréter. Femme d’intérieur qui se décharne et atteint la quasi transparence, elle exprime son mal de vivre par une incompatibilité avec l’air ambiant. On peut penser à ce personnage terrible de Merry écrit par Philipp Roth dans Pastorale Américaine, tombant dans les filets d’une secte et rompant avec le bon sens.
Mais c’est justement dans cette direction prise par la protagoniste que l’ambiguïté atteint des sommets. Rivé à ce point de vue, Haynes prend soin de ne point juger son personnage, et de ne pas grossir le trait, comme on s’y attend, de son inconscience. Certes, on constate son isolement croissant, son intégration dans une communauté pour le moins inquiétante, notamment par les propos du médecin en chef et son discours culpabilisant. Mais on assiste simultanément à une amélioration de ses symptômes, loin du cocon morbide qui les a générés. D’une aliénation à l’autre, aucun juste milieu ne semble possible. Répondant à l’injonction d’un personal achievement, Carol finira par dire « I love you » à son reflet dans le miroir, scène glaçante où l’on comprend bien qu’elle prend pour aboutissement d’une quête le fait de s’être définitivement enfermée face à elle-même : en sécurité (safe), mais prisonnière de son accès à l’extérieur.
Très grande réussite dans le portrait pathologique et modèle d’épure dans la mise en scène, Safe est un film d’une densité à la fois précieuse et pernicieuse.
(7.5/10)
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le 28 janv. 2016
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