En avant pour une brutale immersion au sein de la main d'oeuvre sacrifiée d'un abattoir industriel aux méthodes bien rodées, en matière de débitage ou de gestion des ressources humaines. A l'image, les carcasses défilent, la souffrance, animale et humaine, est sourde : d'un côté le dernier souffle des 500 bovins dépecés chaque jour est rendu hors champ, nulle volonté de souligner l'évidence de la part des auteurs; de l'autre, plein cadre, les fourmis découpeuses endurent la nécessité de travailler et s'usent au rythme des chaînes de production pensées pour leur imposer une cadence d'exécution infernale. Lorsque chaque opérateur présente son poste avec son lot de gestes destructeurs une fatigue monumentale prend aux tripes, à tel point qu'on se demande comment on pourrait tenir, à leur place, dans ces conditions extrêmes. Spoiler alert, je ne tiendrais personnellement pas une demi-journée :/
Si les voir s'échauffer pour essayer de limiter les dégâts qu'ils subiront pendant leur quart prête à sourire dans les premières minutes du documentaire, bien vite le caractère amusant de ces situations improbables fait place à une tristesse sincère à mesure que les témoignages expliquent que ces gestes sont aussi nécessaires pour limiter les blessures qu'insuffisants pour contrer les ravages subis par les articulations à force de répétitions.
Cette tristesse mute ensuite en révolte quand la hiérarchie s'exprime enfin, profitant de quelques minutes de répit accordées à leurs subalternes pour leur faire la morale en les prenant, au passage, pour des incultes : c'est après tout bien de leur faute s'ils se blessent à force d'inattention —comprendre faut être plus en forme—.
Voir un vétéran acquiescer quand il se fait sermonner par son supérieur pour un geste qui perd de sa précision en fin de journée, pour cause de fatigue, et ce malgré 29 années d'expérience, a quelque chose d'incroyablement révoltant.. au sein de cette machine à débiter en masse, la plupart des ouvriers n'ont pas voix au chapitre, peu ont le luxe de pouvoir quitter l'enfer, et les cerbères qui décident inlassablement du programme de leur journée en sont pleinement conscients.
Quant aux rares qui se laissent aller à une brève contestation, c'est dans une émotion assez vive, je pense à cette dame qui, après 35 ans de boutique, au bord des larmes, essaye de faire entendre une demande de reclassement au casque rouge qui la chapeaute. La scène est émouvante, la détresse est réelle, à l'image de documentaire dans son ensemble, remarquable parce qu'il observe sans nourrir de polémique et ne s'intéresse finalement qu'à la souffrance, à tous les niveaux.
Pour ne rien gâcher, le dernier témoignage d'un rookie, entre résignation et émotion, tout sauf à sa place au sein de ce rouleau compresseur qui troque la santé de ses employés pour de la viande premium qualité en série, quand il répond à la question «comprends-tu les gens qui restent et qui sont là depuis des années» est d'un humanisme très touchant qui sied parfaitement à la note d'intention des deux auteurs : «la vie est tellement compliquée, c'est très difficile de juger les gens».