Saint Laurent, priez pour nous
Quelque mois après le biopic très classique et peu inspiré de Jalil Lespert sort le Saint Laurent de Bertrand Bonello. Les ambitions ne sont clairement pas les mêmes : si le premier film se veut être une imitation (trop ?) fidèle du créateur, le second film s’affirme comme véritable œuvre d’art.
La mise en scène est d’une élégance absolue, originale et inspirée. Quelques scènes très réussies, comme celle du défilé de la collection opéra-ballet russe, où les images sont disposées à la façon d’un Mondrian, ou celle du split screen qui établit un parallèle entre des événements historiques tels que mai 68 et les collections du créateur. Ajoutez à cela une belle photographie, une soundtrack très seventies ainsi que de superbes décors et costumes. Le projet n’ayant pas été approuvé par Pierre Bergé, l’équipe n’a eu accès à aucun vêtement original et a dû tout récréer. Le résultat est incroyable, extrêmement proche des créations de Saint Laurent. L’ensemble du film est d’une classe folle. Sur un plan esthétique, c’est donc très réussi.
L’œuvre de Bonello ne correspond pas aux canons du biopic classique. Le réalisateur ne cherche pas à expliquer le « mystère » Saint Laurent, ni à raconter sa vie de A à Z et encore moins à faire une œuvre larmoyante à la gloire du créateur et de son compagnon. Il ne cherche pas le complet mimétisme avec la vie du couturier. L’interprétation de Gaspard Ulliel est dans cette lignée : il est sobre, espiègle, drôle et finalement très touchant. Contrairement à Pierre Niney, il « n’imite » pas Saint Laurent. On sent que le rôle est intériorisé, véritablement approprié. Jérémie Renier est aussi tout en retenue (ce qui n'était pas le cas du grandiloquent Guillaume Gallienne, dont chaque intervention atteignait des sommets dégoulinants de sentimentalisme...). Son rôle de Pierre Bergé est d’ailleurs plutôt ingrat, tant il n’est présenté que comme un homme d’affaires forcené. Mais il y a quand même de belles scènes entre les deux personnages, notamment une séquence qui implique Proust.
De Proust, il est en beaucoup question. Saint Laurent l’admirait beaucoup. C’est simple, il est partout dans le film. Même dans le décor. Appliquant la structure de La Recherche à son film, Bonello construit un film composé des vas-et-viens entre passé et présent et y insère une scène d’enfance particulièrement proustienne. C’est assez touchant mais le procédé devient rapidement pénible tant il est répété. Autre clin d'oeil possible à Marcel : la présence de Micha Lescot qui incarnait récemment l'écrivain dans une série de téléfilm. La scène la plus émouvante du film implique le lit du romancier, réel ou fantasmé. Je n’en dis pas plus...!
Difficile de résumer Saint Laurent. Il ne présente qu’une partie de la vie du personnage, s’attarde d’abord sur son travail de couturier puis se transforme en une litanie de toutes ses débauches. Bonello ose beaucoup plus que Jalil Lespert dans la représentation des soirées (orgiaques) de Saint Laurent. Mais rien de bien choquant. Ce n’est pas le but. Il s’agit uniquement de montrer la dégradation progressive du personnage et de susciter une certaine empathie pour lui. La mort semble sans arrêt possible, symbolisée à la fois par ce superbe plan dans lequel le créateur s’arrête au niveau d’un sarcophage dressé à ses côtés et par son appartement aux allures de mausolée. Le début du film est entièrement dans des tons clairs et peu à peu le rouge, le noir et d'autres couleurs sombres prennent le dessus, pour symboliser la « descente aux enfers » du personnage.
Plus qu’un film sur un couturier, Bonello semble vouloir s’interroger sur ce qui fait un artiste. Saint Laurent est alors l’archétype du créateur qui se consume pour son art. Il est montré en train de travailler, très nerveux et pris par le temps, n’arrivant plus à vivre normalement. Le personnage est presque uniquement représenté dans des espaces clos (boîte de nuit, appartement, atelier) et souvent seul. Même accompagné, il semble à part, portant une certaine mélancolie sur son visage. Il est également aussi présenté comme un homme obsédé par sa propre image (photos grandeur nature de lui dans son appartement, miroirs à foison..). Il n’est en tout cas jamais ridicule ou méprisable. Mais plutôt émouvant.
La partie la plus réussie du film est probablement celle qui se concentre sur la relation entre le créateur et Jacques de Bascher, incarné par un Louis Garrel plus beau que jamais (si, c’est possible !). L’alchimie entre les acteurs semble évidente et donne lieu aux meilleures scènes du film, comme celle de l’émouvante lecture d’une lettre de Saint Laurent à son amant ou leur rencontre, filmée avec beaucoup d’originalité et laissant un certain mystère s’installer. On retiendra aussi une scène de baiser particulièrement sensuelle...
Quelques défauts subsistent. Léa Seydoux est particulièrement fade, en Loulou de la Falaise. Etonnant, après son incroyable rôle dans La Vie d’Adèle. Elle surjoue constamment et arrive à être horripilante sans même ouvrir la bouche. L’ensemble manque aussi beaucoup de rythme. On s’ennuie sur la fin et on se demande désespérément quand Bonello voudra bien terminer son film ! Egalement quelques problèmes de son dans certaines scènes, durant lesquelles on n’entend absolument rien des discussions des personnages.
Mais dans l’ensemble, c’est une grande réussite que ce Saint Laurent. Un film « opéra », ambitieux, parfaitement mis en scène, aux allures d’un Visconti - comme certains critiques l'ont fait remarquer. Je crois même y avoir décelé une référence à Orange mécanique...! En tout cas, je regrette qu’il n’ait rien eu à Cannes. Espérons que les Césars sauront récompenser le réalisateur ou ses acteurs.