Je me confronte peu souvent à l’exercice de la critique, celle-ci sera donc surement un peu décousue, à l’image de ce film.
Bertrand Bonello s’attaque au biopic. Il s’attaque à une période d’une dizaine d’année, traitée en 2h30 m’a t’on dit. On dit aussi qu’il a cherché la liberté, à ne pas être retenu, à savoir ce qu’il ne voulait pas faire. J’ai espéré une biographie en forme de fiction, qui échappe aux faits, aux impératifs de la réalité.
On est peut-être pas passé loin.

Je suis sortie de la salle un peu troublée, hésitante.
Je savais ce qui m’avait plu. L’image. La lumière. Certains choix de mise en scène. Le jeu évident avec les miroirs, les personnages constamment confrontés à leurs reflets. Enfermés dans des glaces comme dans leur impossibilité à échapper à l’apparence, à la perception qu’ils ont d’eux même, « Je ne peux plus me voir » dit Yves Saint Laurent à propos d’une de ses nouvelles créations, peu à son goût. Le flou m’a plu aussi, bien qu’il soit moins récurrent, à la fois perte de repère et une manière d’estomper les apparences, de voir le monde autrement. Et les corps flous du réel, du peuple?, qui balaye, le monde de YSL. La fatalité des plans de dos et des plongées. Gaspard Ulliel m’a touchée. Louis Garrel, qui se joue du cadre et parfois lui échappe, aussi et je n’aurais pourtant pas parié dessus.
Il restait à savoir ce qui me dérangeait.
Le scénario. Sur plusieurs points, en grande partie le manque de choix ou de choix assumés.
Le choix d’un sujet plus précis qu’une période. Il est difficile de savoir de quoi on parle. Il manque une problématique. YSL, son côté sombre, la drogue, son impact sur la femme et la mode, la marque, sa relation avec Jacques de Bascher ou Pierre Bergé ou les deux ?
On passe d’une idée à l’autre sans avoir le temps de la traiter, ou de la comprendre. Pareil pour les personnages secondaires, à peine présentés on doit quasiment les deviner. Difficile alors de s’attacher. Notamment Betty et Loulou, sur un piédestal en contre plongée, femmes modèles mais dont finalement on ne sait rien, dont on parle peu et qui deviennent poupées. (Loulou ne m’a pas réconciliée avec Léa Seydoux…) Bonello refuse de faire un biopic mais traite son personnage, et sa vie, comme si nous les connaissions forcément.
Bertrand Bonello fais le choix de nous présenter cette période de manière déconstruite, comme pour nous perdre, on est cependant souvent recadrés par les cartons datés. Et je n’ai pas vu dans ce « puzzle » un intérêt, un apport, particulier pour le scénario.
Enfin, et il me semble que c’est ce qui m’a le plus gênée, il y a cette volonté de provocation abordée mais jamais assumée. Bonello prend ici le risque de traiter du côté sombre de YSL, son rapport à la drogue, au sexe. On découvre ainsi à l’écran quelques sexes dénudés (mais pas d’actes sexuels), une seringue dans un bras, l’overdose presque comique d’un chien, beaucoup de drogue en cachets.
Je ne dis pas que ce n’est pas assez, je dis que ça ne suffit pas. Je pense qu’en cherchant à montrer la violence de ce côté sombre de manière directe, Bonello ne l’a peut-être pas assez sous entendu, laissé transparaitre à des moments moins évidents.
Les séquences de la rencontre-duel de Yves et Jacques en boite de nuit, du 1er rendez-vous chez Jacques, d’Yves et Jacques qui se disent je t’aime sans se toucher, ou encore Jacques qui recoud son ours en peluche sont des séquences qui me marquent. Elles me marquent parce qu’elles me surprennent par leurs mises en scène, leurs cadres ou, pour la troisième, par sa sobriété.
Le moment de la création de la collection de 1976 est décrit dans le film par Yves Saint Laurent comme un moment de grâce. J’ai trouvé dommage que cette séquence soit entrecoupée par d’autres époques, à peine montrée. J’aurais aimé qu’elle soit une sorte de climax : à la fois le fond du gouffre, le manque total, mais également l’inspiration suprême, la renaissance, le nouveau départ.
Enfin, la dernière heure est celle qui m’a laissée le plus dubitative, on découvre le couturier en 2002, ressassant son passé. Repensant au défilé de la collection de 1976. Je ne comprend pas ce qu’apporte ce saut dans le temps. Montrer YSL toujours hanté par son côté obscur et ses nombreux démons ? Etait-ce nécessaire que ce soit en 2008, ces images flash-backs auraient pu ponctuer les images du défilé et nous aurions compris que même à son apogée YSL était rongé par son passé, et qu’il le serait jusqu’au bout. Ce défilé en split-screen, en hommage aux tableaux de Mondrian, était une bonne idée mais m’a donné l’impression assez désagréable d’une publicité.


Pour conclure Bonello prend le risque de pouvoir choisir de traiter des démons d'Yves Saint Laurent mais prend peur de s'enfermer dans un seul sujet et ainsi tombe à côté. Il choisi de provoquer, de choquer mais sans aller au bout.

J'hésitais entre mettre 6 ou 7 à Saint Laurent. Ca fait finalement beaucoup de choses que je n’ai pas apprécié, rédiger cette critique m’aura donc permis de choisir la note de 6.
Cette critique est comme toute : subjective. N’hésitez pas à me donner votre avis, que vous soyez d’accord avec moi ou non. Qu’avez vous compris, retenu, de la construction de ce scénario en particulier ?
CelineJane
6
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le 25 sept. 2014

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CelineJane

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