Il est des choses qui ne s’expliquent pas. Vous pouvez être doté des meilleures intentions, inspiré, cinéphile en diable, talentueux dans votre savoir-faire, enthousiaste sans pour autant générer une œuvre qui fonctionne. Allez comprendre.
Drew Goddard, scénariste aux commandes de grosses machines récentes (Cloverfield, World War Z, Seul sur Mars) et déjà réalisateur d’un film d’horreur (La Cabane dans les bois) qui semble oubliable met ici clairement les petits plans dans les grands.
Son film sera long (2h22, grand Dieu), un peu choral, clipesque et doté d’une BO de feu en Motown style sur juke box à tube, 60’s et contemporain, référentiel et singulier, avec des stars mais en presque seconds rôles, un huis clos mais avec des flash backs à l’extérieur, avec des personnages archétypaux mais qui peuvent mourir à chaque instant comme dans Game of Thrones, ironique mais émouvant : en somme, on prend tout et son contraire.
Le film distille ainsi, avec un grand déséquilibre, des citations d’ainés admirés en forme d’intertextes mal digérés et scolaires qui peuvent par instant faire mouche, mais sans jamais réellement séduire. Ainsi d’une temporalité malmenée nous réservant la même séquence selon différents points de vue, citation évidente de Jackie Brown et du travail de Tarantino en général, ou d’un cadre ultra pensé dans son architecture qui renvoie à la plastique des frères Coen, de personnages soi-disant bien trempés mais se limitant à des fonctions dénuées de toute épaisseur.
Drew Goddard pense être original, et dans sa course à la séduction, livre une copie avant tout scolaire, sans dénier tout ce que le terme peut aussi recouvrer de mélioratif : une réalisation maîtrisée, une photo bien léchée, un travail sur les espaces plutôt convaincant et une direction d’acteurs qui fonctionne la plupart du temps. La scène devant le miroir sans tain durant laquelle la chanteuse camoufle le travail du prêtre en train de soulever les lattes du parquet est ainsi un bel exercice de style, qui nous ferait presque oublier la maladresse avec laquelle elle s’insère dans l’intrigue générale.
La question de l’alchimie pourrait sembler indicible : ce qui ne fonctionne pas sur un spectateur pourrait s’avérer pertinent sur d’autres, et après tout, certains détestent les effets de manche de Tarantino. Il y a probablement de cela ; mais l’évolution de l’intrigue dissémine tout de même quelques indices sur les motifs du ratage. L’arrivée de Chris Hemsworth, bien décidé à nous exhiber sa musculature que la MCU ne saurait voir, vire à la fanfaronnade sans queue ni tête où, à l’image de ce recours à la roulette, tout est possible et rien n’a de motif : on tue, on interroge, on parle beaucoup et, surtout, on occupe le cadre.
Il ne suffit pas d’accumuler les ingrédients isolément savoureux pour trouver la recette miracle. Drew Goddard est volontaire, plutôt un bon faiseur, mais échoue dans sa tentative pourtant explicite de séduction. A l’image du Mc Guffin inepte qui focalise un temps ses personnages, à savoir un film compromettant dont nous ne verrons jamais les images, le sien s’exhibe sans jamais donner accès à sa chair.