Salem
5.4
Salem

Film de Jean-Bernard Marlin (2023)

La France n'en a rien à branler de la magie.

Comme dans le dernier film de Marlin, Shéhérazade, il est question dans ce Salem des jeunesses populaires et de la criminalité dans l'univers des cités marseillaises mais au contraire de celui-ci le film ne convainc guère la critique pour le moment, sans doute pour un choix osé, surtout en France : délaisser le réalisme brut au profit d'un fantastique tournant au mysticisme et à un curieux syncrétisme islamo-chrétien.


Salem a beaucoup de choses à montrer et à raconter au cours de sa trop brève sans doute heure et demi, puisque c'est à la fois une exploration de la manière dont la criminalité s'entretient dès le plus jeune âge par un recrutement gradué des adolescents, une étude des différences culturelles entre les noirs musulmans de Marseille et les gitans chrétiens, une approche fantastique d'un protagoniste décalé qui doit nous faire hésiter : est-il prophète ou fou, et un film de réconciliation familiale par-dessus le marché.


Il ressort de cette envie de trop faire et de tout faire une narration un peu confuse, trop lente peut-être à des moments qui ne le réclament pas tant que ça et, plus gênant, une timidité dans le traitement de son mysticisme qui passe beaucoup par les dialogues des personnages mais assez rarement par le langage visuel (à l'exception du dernier acte du film et surtout de sa fin, mais qui arrivent tard par définition).


Je suis un peu fâché avec les films de banlieue. Ayant moi-même grandi dans une cité de la banlieue nord de Paris, je n'ai jamais vraiment aimé les discours artistiques portés sur ce milieu souvent teintés d'une bienveillance de façade qui cache en réalité une condescendance monstrueuse, quand ce n'est pas ouvertement du paternalisme gerbeux comme dans une merde type L'Esquive qu'on m'a forcé à voir gosse. J'appelle dans ma tête ces projets des films safaris, parce que le fond (à peine caché) y est de venir filmer comme des animaux les habitants pourtant bien ordinaires en réalité de zones qu'on s'imagine d'un exotisme confinant au racisme social pur.


J'avais aimé Shéhérazade et j'avais été plutôt enthousiasmé par la BA de ce Salem. Je trouve que Marlin sait prendre un ton relativement juste dans son approche de ces milieux, il se fait chier à trouver des gueules pour incarner ses personnages et il ne tombe pas dans le pittoresque - ce qui lui vaut d'ailleurs des remarques peu amènes sur la diction ou le langage de ses acteurs, et effectivement parfois dans le film les non-initiés ne comprendront pas je pense certains dialogues qu'on ne prend naturellement pas la peine de rendre artificiellement intelligibles. Mais si vous vous embrouillez à la caisse d'un Auchan miteux avec un gitan, c'est pareil.


Je ne crois pas que le film soit très bon à dire vrai mais je suis extrêmement enthousiasmé par le fait de produire de cette façon un film sur les pouvoirs de la foi qui tente en plus de passer par le syncrétisme sans jamais faire de ce dernier un sujet du film ou des dialogues de ses personnages. D'où ce petit avis vite fait histoire de si ça donne envie à certain d'y jeter un œil.


On a pas affaire à un produit calibré pour satisfaire quiconque et de fait il ne satisfait pas ; il n'a l'air de ne pas trop savoir s'il est censé être un film de genre et verser franchement dans le banditisme (il y a des meurtres dans le film mais presque en passant, et c'est assez élégant au fond avec le thème de la guérison mystique cherchée par le héros) ou une sorte de Simon du désert moderne que personne en France, pays déspiritualisé s'il n'en est dans sa culture plus que nulle part ailleurs, ne désire réellement voir.


Moi si. Je veux voir ce genre de choses. Si vous avez un moment allez-y, c'est en salle en ce moment.

S_Gauthier
7
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le 3 juin 2024

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S_Gauthier

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