Dommage
Le film était pas mal : il a d’excellents éléments, notamment une très bonne première moitié, mais je trouve que la deuxième moitié est pas très cohérente ni réaliste. Djibril prend des décisions qui...
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le 17 mai 2024
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Nième déclinaison de Roméo et Juliette, ici entre deux bandes rivales des quartiers nord de Marseille, Salem a été retenu dans la sélection Un certain regard de Cannes. On se demande bien ce qui valut à son auteur, Jean-Bernard Marlin, une telle distinction puisque son film s'inscrit parfaitement dans la tendance actuelle : peinture de la banlieue, thématique du crime organisé, oeuvre à la croisière de plusieurs genres - ici le drame familial, le film de gangsters et le film fantastique. De surcroît, le film est lesté de nombreuses maladresses.
Djibril, du clan musulman à peau sombre des Sauterelles, est tombé amoureux de Camilla, du clan gitan à peau plus claire des Grillons. Pressions sur l'une et l'autre pour abandonner cette folie, comme chez Shakespeare. Mais, en plus, il y a un os : Camilla est enceinte, à 14 ans (14 ans !! là, on se dit qu'heureusement qu'il y a des services sociaux en France). Le jeune Djibril va finir par se résoudre à garder l'enfant alors qu'autour de lui la violence se déchaine : l'un de ses potes des Grillons, amené là par Djibril, se fait flinguer devant le collège car il ne respectait pas la loi imposée par le tout puissant Chat noir ; Camilla se fait violenter par son frère vu qu'elle a transgressé un tabou, aimer l'ennemi. Djibril se venge, flingue ledit frère, se fait choper et envoyer en prison. Ou plutôt en hôpital psy, sans qu'on comprenne bien pourquoi puisqu'il ne présente aucun signe de dérèglement mental.
C'est là qu'on le trouve dans la séquence d'ouverture. (Bien aimé le geste étrange d'un pensionnaire à qui on propose de la nourriture, qui installe tout de suite le lieu.) Djibril a bien un grain de folie : il est convaincu que sa fille est un nouveau messie, dont les anges ont pris la forme de cigales. Une envoyée de Dieu qui a des dons thaumaturges. Classiquement, JB Marlin va remonter le fil du temps sous la forme de flashbacks. On aura droit, côté gitan, aux combats de coqs qui en sont l'image d'Epinal et, côté Noirs, à la mafia de la drogue. De part et d'autre, chez les cathos comme chez les musulmans, on invoque Dieu toutes les deux phrases. Et on est tous frères.
Lorsque Djibril ressort 15 ans plus tard, il file direct voir cette fille qu'il ne connaît qu'en photo. Sa mère est là, le visage tuméfié. Pourquoi ? Les marques persistantes des beignes reçues à 14 ans ?!... Ali, à proximité, n'accueille évidemment pas son père à bras ouverts. Pire, elle est bassement intéressée : s'il se dit son père, qu'il lui offre donc un scooter ! Djibril n'a pas un rond mais heureusement Chat noir est là. L'engin rouge rutilant que lui amène son père devant le collège ne suffit pas à réparer son absence : ce scooter, il est pété. Il en faut plus pour décourager notre Djibril qui parviendra à renouer avec sa progéniture en guérissant son coq...
On nage déjà dans le n'importe quoi quand surgit une nouvelle péripétie : à peine sorti de l'hôpital, Djibril accepte d'accompagner son meilleur pote pour un rendez-vous avec un gars que Chat noir a demandé qu'on lui arrange "pour discuter c'est tout". Il avait dit la même chose 15 ans plus tôt mais notre duo ne se méfie toujours pas du bonhomme. Celui-ci flingue froidement le gars et ses deux enfants, ben voyons, et déclare même qu'on s'en fout, "c'est personne" ces mômes.
La police, prompte à dénicher Djibril, est en-dessous de tout concernant Chat noir puisque celui-ci n'est toujours pas inquiété malgré quatre homicides violents au compteur. Un seul bouc émissaire, Djibril. Celui-ci se réfugie dans une caravane en plein quartier Grillons, ce qui nous vaut une scène de western, où la jeune fille prend sa part. Ce n'est pas encore tout, car le meilleur pote va quand même finir par expédier dans l'au-delà le vilain Chat noir, qui parade dans les rues tel le nabab du quartier. J’ai pensé au Parrain, à cette scène où de Niro guette le chef mafieux dans l’escalier sombre qui mène à son appartement. Ce ne sera pas ici d’un coup de feu mais en l'égorgeant puisque nous sommes le jour de la fête de l'Aïd. Et hop, montage alterné entre Chat noir et un mouton qu'on saigne. Trop fort.
Ce n'est toujours pas tout : le pote, blessé dans le combat avec Chat noir, sera remis sur pied par Ali, confirmant les dons pressentis par son père. Alleluia ! Alors que les cigales ont envahi la ville, Djibril, rasséréné, peut quitter ce monde en sautant par la fenêtre.
Bon. L'ensemble est quand même assez consternant. Un peu de West Side Story, un peu des Misérables de Ladj Ly, en beaucoup moins bien. Les acteurs, tous convaincants (mention spéciale à Oumar Moindjie qui joue Djibril adulte), ne parviennent pas à sauver cette chose conventionnelle, que n'arrange pas une musique à base de nappes de synthés. Mais ce Salem fera au moins un heureux : Nike, dont le logo apparaît sur quasiment toutes les fringues à l'écran. Il était utile, en effet, d'en faire la promotion.
Créée
le 8 juin 2024
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