Film-Monstre, à la première place du podium des films les plus subversifs, interdit en Italie en 1975, Saló est avant tout rien de plus ni de moins qu'un acte politique. Le sexe et surtout la pratique sadomasochiste (le film s'inspire des écrits du marquis de Sade) constituent ici la métaphore du rapport entre l’État, ceux qui détiennent le pouvoir et le peuple, les opprimés. Pasolini donne l'image d'une société où les plus faibles se font sodomiser et mangent la merde de ceux d'en haut. Cette société c'est encore la notre aujourd'hui, la société de consommation. Maria Bojikian, journaliste à Aden (supplément culturel du Monde) écrit en juin 2002 : "Pasolini s'applique à disséquer la société de consommation, à la mettre à mort parce qu'elle est "un nouveau fascisme". Cette société, il l'exècre et son film se doit d'être exécrable".
Et oui, Saló peut se montrer exécrable. L'intelligence du cinéaste et de son film provient de sa manière de montrer l'action. Il n'esthétise jamais l'horreur, la violence. La lumière est froide, de sorte d'ailleurs que chaque visage des protagonistes soit souvent presque blanc, sans l'once d'une chaleur humaine. Le montage est tranché, sans concessions, brise les valeurs de plan. La caméra est souvent en retrait, elle montre souvent le vide de l'espace, elle crée des tableaux épars et désordonnés. C'est sans saveur, voire indigeste, sans cohérence, c'est parfois laid, et c'est à l'image de ce qui s'y passe. C'est un cinéma de la distanciation, qui montre les résultats de la déshumanisation. La consommation à outrance conduit les hommes à perdre leur identité et leur liberté.
Enfin, Pasolini nous interroge sur notre rapport à l'image de la violence. Qu'est-ce qui est supportable, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Lors d'un entretien, la réalisatrice Claire Denis soulève un point essentiel et extrêmement intéressant. Elle avoue que ce qu'elle retient le plus du film, c'est qu'elle a été davantage choquée par le Cercle de la Merde que le dernier cercle, celui des tortures et de la mise à mort. La déchéance, l'humiliation est moins supportable qu'une mise à mort franche. Édifiant !
Inutile d'en dire davantage, Pasolini a tout dit sur sa dernière œuvre, et il est facile de se procurer les entretiens. Ce qu'on retient de Saló, c'est le film d'anticipation historique, visionnaire, l'acte brut et puissant, qui continue encore aujourd'hui de choquer et de susciter de nombreux débats.