Trois bascules dramatiques organisent Salt and Fire : l’enlèvement, le débat théologico-écologique, la survie. Chacune semble porter en elle une certaine conception de l’ordre : d’abord le chaos et l’incompréhension, puis des tentatives d’explications, enfin la clarté aride et magnifiquement structurée du désert de sel. Dans son mouvement même, le film métaphorise l’idée de révélation : révélation d’un scandale environnemental, révélation de la lumière à partir de l’obscurité la plus complète (cellule sombre, cagoules noires, motivations suspectes). Et pourtant, ce mouvement se heurte à une entreprise de relecture rétrospective de l’histoire symbolique : en premier lieu règne l’anarchie des formes et des architectures, ensuite viennent les jeux en trompe-l’œil de la Renaissance, en dernier lieu l’absence de profondeur, occasionnée par l’écrasement visuel qu’engendre ce désert. Deux dynamiques en sens inverse. Un Big Bang. Voilà ce qu’est Salt and Fire, du point de vue de sa structure. Il est donc un récit de nature, de surnature : un volcan sommeille, laisse échapper des grondements comme le ferait un monstre. « Bientôt tout le monde saura prononcer son nom : Uturuncu ». Et ce monstre fut et demeure engendré par l’homme qui, de sa volonté initiale de produire un compte rendu, va vivre sa Faute le temps d’une Passion. Des miracles, nous en avons : un tétraplégique se lève de son fauteuil, par fantaisie ; des hommes et des femmes marchent sur l’eau, ou plutôt sur ce qui fut jadis de l’eau, des étendues de sel. Sous perfusions bibliques, le film croise de façon allégorique tragédie de la nature et tragédie de l’enfantement : privée de sa fille, une mère se voit raccordée à la procréation par le biais de deux jeunes aveugles, justement adoptés par le ravisseur. Dans cette famille de bric et de broc se recompose néanmoins une humanité fondamentale, fondatrice : la tour de Babel, autour d’un jeu de dés. Laura Sommerfeld dit perdre la notion du temps : elle a appris à regarder autrement, à préserver les siens, à épargner ses ressources vitales. Ce que Werner Herzog filme le mieux n’est pas la nature, mais le passage de l’homme dans la nature, passage qui débouche à la fois sur l’émerveillement (l’art) et la destruction. Salt and Fire revient au sens étymologique de la catastrophe, soit le renversement. Renversement relatif à la construction d’un chaos rétrospectif. Renversement dans la représentation d’un scandale environnemental au cinéma. Renversement quant à l’acte de foi placé en l’homme, un cri dans le désert, un fauteuil lancé à toute allure sur la croûte salée, incarnation tragique et ironique de cette même course de l’être humain à sa perte, sabrée néanmoins par du champagne. Brûlant chef-d’œuvre.

Fêtons_le_cinéma
10

Créée

le 11 août 2019

Critique lue 256 fois

Critique lue 256 fois

D'autres avis sur Salt and Fire

Salt and Fire
Morrinson
5

Signes de vie dans un cœur de pierre

Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Quelle drôle d'expérience que celle qui consiste à parcourir la filmographie de Herzog par les deux bouts, avec d'un côté ses expérimentations totalement...

le 22 déc. 2016

10 j'aime

5

Salt and Fire
easy2fly
2

Quand tu es dans le désert de sel depuis trop longtemps, tu te demandes à quoi sert ce film....

C'est la première fois que je vois un film de Werner Herzog dans une salle de cinéma et ce ne fût pas une expérience très agréable. Pourtant, j'étais assez confiant, prêt à découvrir une oeuvre à...

le 8 déc. 2016

7 j'aime

Salt and Fire
Framboi_sine
6

Contemplatif

C'est le premier mot qui me vient en sortant de la salle de cinéma. N'étant pas une grande connaisseuse du cinéma d'Herzog, aller voir Salt and Fire sans savoir à quoi m'attendre a plutôt du bon...

le 8 déc. 2016

3 j'aime

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

89 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

78 j'aime

14