Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Quelle drôle d'expérience que celle qui consiste à parcourir la filmographie de Herzog par les deux bouts, avec d'un côté ses expérimentations totalement barjots des années 70 qu'il empile les unes après les autres comme les pierres fondatrices d'un ensemble extrêmement cohérent, et de l'autre des délires américains comme ce Salt and Fire sorti d'on ne sait trop où... Un sacré contraste.


Il y a tellement de choses qui sonnent faux, au niveau de l'interprétation et de certains éléments narratifs particulièrement artificiels... Et pourtant l'ensemble demeure à mes yeux très intrigant, inattendu, parfaitement et délicieusement incongru. Rien d'étonnant à ce que Herzog ait fini par atterrir en Bolivie dans le désert de sel d'Uyuní : un terrain de jeu pour lui, dans de telles conditions inhospitalières et de telles étendues paradoxalement magnifiques, à 4000 mètres d'altitude, rappelant par certains aspects son Fata Morgana en Afrique. On reconnaît aussi très bien son dernier mouvement, fauteuil roulant lancé vers l'horizon inutile. Mais j'ai du mal à comprendre comment une telle maladresse (si c'est ce dont il s'agit) est parvenue à s'insinuer jusque dans les strates profondes du récit parfois improbable et des dialogues souvent ampoulés. Rarement Michael Shannon aura été autant à côté de la plaque dans son rôle de PDG-terroriste, avec des tirades beaucoup trop sérieuses comme "la vérité est la seule fille du temps". Je n'y ai jamais cru.


C'est bien simple, je ne peux m'empêcher de penser que quelque chose m'échappe et qu'il y a autre chose au-delà de ce plaidoyer écologique (sans pour autant nier son importance). Tout le discours sur la nécessité du changement de perspective, à grand renfort de peintures par anamorphose qui ne peuvent être saisies que sous certains angles ou dans certaines conditions particulières, me semble à des années-lumière du rapport qu'il entretenait jadis avec la frontière de la perception séparant les différentes interprétations du réel. La réalité n'existe pas en tant que telle, en une seule version des faits, cela faisait longtemps qu'on l'a compris chez Herzog. Non, il doit y avoir quelque chose au-delà de cette prise de conscience imposée, de ces chiffres qui ne se suffisent évidemment pas à eux-mêmes, de cette expérience humaine vécue de force pour accélérer la résistance. La dimension explicite jusqu'à l'écœurement paraît très nettement excessive, de manière presque volontaire, comme si elle renfermait autre chose.


Pourtant, le Herzog que j'aime beaucoup revient par la fenêtre : c'est notamment le cas à travers les personnages des deux enfants à la limite de la cécité. C'est un sujet d'étude qui relève presque du cas d'école dans son univers... Atahualpa et Huascar seront bientôt rendus aveugles par l'activité humaine et l'environnement rendu impur : de futurs inadaptés, des Bruno S. (cf. La Ballade de Bruno ou Bruno S. - Estrangement is death) en puissance, des Fini Straubinger (cf. Au pays du silence et de l'obscurité) en apprentissage. Mais avait-on besoin d'une telle image, en les utilisant dans cette sorte de rapprochement et de partage entre les êtres, par-delà la part incompressible d'incommunicabilité ? Herzog surprend, dans tous les sens du terme, avec d'un côté une histoire relativement fade (à commencer par le flashback) et de l'autre une dose d'incongruité extrêmement attachante. La musique est particulièrement étonnante tant elle détonne dans ce contexte de prise d'otage, avec une clarinette toute en dissonance, participant à la dimension irréelle de l'ensemble. La liberté globale au niveau du style est très appréciable, mais on est en droit de se demander si tous les flottements du film s'expliquent exclusivement par ce biais.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Salt-and-Fire-de-Werner-Herzog-2016

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le 22 déc. 2016

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Morrinson

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