Saltburn
6.2
Saltburn

Film de Emerald Fennell (2023)

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Film étrange au niveau du ressenti.

Durant le film je me suis bien amusé, les bonnes scènes s'enchaînent bien, les personnages sont intéressants, ce n'est qu'à la fin que l'enthousiasme tombe. En fait, à partir du moment où le personnage principal se décide à entamer son plan B, à établir son nouvel objectif. Mais ça passe. Ce qui est plus perturbant, c'est que c'est après la projection, en repensant au film que j'ai trouvé quelques gros défauts.

Les personnages sont bien, mais il y a cette scène étrange où Oliver se révèle dominant et parvient ainsi à séduire Venetia et même à la mener à la baguette le temps d'un petit déjeuner. Même si la sœurette reprendra possession de sa force avant la fin du repas (en cédant à son envie de vomir), cette partie dénature en réalité Oliver. En effet, Oliver est montré tout du long comme un soumis, un charognard qui est trop froussard pour vraiment attaquer frontalement, il est plus du genre à manipuler dans son coin. Mais ça on ne le sait pas au début, et au vu de la scène, on comprend que le bougre cache quelque chose, qu'il n'est pas le gentil pauvre naïf qu'il laisse paraître mais plutôt un lion qui ne demande qu'à dévorer cette famille. Sauf que plus tard, à part une vaine tentative d'intimider Farleigh (à base de séduction et de menaces), tout nous confirme que Oliver est plus un charognard qu'un mâle dominant. Alors pourquoi ce jeu de domination qui n'apporte rien. On n'a pas vraiment l'impression que Oliver essaie de changer de catégorie durant le film (comme s'il en avait marre de son approche et qu'il voulait ressembler davantage à Félix), les auteurs se contentent de le laisser soumis et se complaire dans son statut.

Le côté manipulateur n'est vraiment pas assez poussé. En gros, il paraît gentil et dit de petits mensonges de temps en temps mais la manipulation fonctionne uniquement parce que les personnages sont bêtes ou plutôt parce que les auteurs n'ont pas le talent pour écrire une bonne scène de la sorte ; par exemple, lorsque Félix fait la tête à Oliver pour avoir couché avec sa sœur, ce dernier se contente de dire que c'est sa sœur qui lui a un peu forcé la main. Ce n'est pas incohérent en soi, mais le fait que Félix accepte si vite cette explication est assez décevant.

On apprend également que rien n'est arrivé par hasard avec une série de flashbacks explicatifs (et lourds, qui participent de la chute de rythme à la fin) : on découvre donc qu'il est responsable de la mort des enfants de la famille ainsi que de la mère, en plus d'avoir manipulé Félix en fuitant son vélo ou en faisant semblant de ne pouvoir payer son verre. Mais quid du patriarche ? Car c'est tout de même un fait important mais nous n'en saurons pas plus. En même temps, comment convaincre qu'il ait pu participer à sa mort sans se faire remarquer. D'ailleurs il est dommage que Oliver ne soit jamais soupçonné alors que toutes les morts arrivent alors qu'il n'est pas loin. Les mises à mort sont d'ailleurs décevantes les auteurs cédant à la facilité : un empoisonnement facile pour Félix, des rasoirs abandonnés près de Venitia (comme si être déprimée et anorexique suffisait à pousser au suicide), l'empoisonnement pour la mère avec de nombreuses ellipses comme si les auteurs ne savaient pas comment orchestrer ça, et du coup expédiant ça bien trop rapidement.

La décision de tuer est un peu saugrenue, rapide, hâtive, peu développée, d'ailleurs les intentions et désirs du personnage sont floues ; il souhaitait vraiment finir seule dans cette énorme maison ? Pour pouvoir danser à poil. Je comprends que ce soit tentant mais quand même (si au moins il avait gardé le personnel). En fait, cette prise de décision marque là l'énonciation de l'objectif principal ! Et on est à plus de la moitié du film. Bizarrement, ça fonctionne très bien sans chute de rythme jusque là, juste que de temps à autre on se demande où on va, est -ce que la famille va chercher à le tuer ? On attend et enfin arrive cet objectif, et là tout va très vite, trop vite, on ne profite pas des enjeux ni des arguments ni de rien.

J'ai trouvé qu'il y avait des similitudes avec "Le talentueux Monsieur Ripley", qui manipule ses victimes et qui doit subir sa propre personnalité. Sauf que dans "Saltburn", rien n'est aussi développé ni poussé. L'aspect sexuel ne surgit qu'au travers de quelques plans 'chocs', l'amitié se fait trop facilement et on ne sait pas trop comment ce légume parvient à séduire tout le monde. Enfin si, mais c'est tout juste : c'est sans doute sa pauvreté qui séduit initialement ces gens riches. Mais ça paraît un peu facile, insuffisant au bout du compte.

Globalement le film manque de délire, de jusqu'au-boutisme, hormis quelques scènes 'chocs'. On en attend plus et surtout quand un idée est lancée, on s'attend à ce que ça ait des répercussion plus longuement ; au lieu de ça, les avancées sont traitées et résolues la plupart du temps dès la scène suivante (comme pour Venitia). Je pense aussi que le film aurait gagné des points en dévoilant directement la vraie personnalité du personnage principal plutôt que de la jouer thriller jusqu'au bout (avec ce gênant montage de flashbacks explicatifs).

La mise en scène est un peu sage en terme de mouvement et de découpage, mais est en soi très efficace, dynamique ; avec en prime une photographie soignée, offrant par là quelques images très belles, marquantes, dignes de spots publicitaires ; le montage est bien rythmé, d'ailleurs le film passe très bien, le fait qu'il dépasse les 2h ne gène jamais. Les décors sont bien choisis et bien filmés. Les acteurs sont tous très bons. Les effets spéciaux sont convaincants.

Et malgré tous les défauts le film fonctionne. Peut-être pas pour une deuxième projection. Mais il a fonctionné au premier visionnage. Parce que les personnages sont mystérieux et que les secondaires sont richement construits. Parce que même si elles auraient pu être plus approfondies, les scènes restent de qualité, avec ce qu'il faut de drama et d'humour. Ce n'est vraiment que dans le dernier tiers que le drama devient plombant avec donc en prime l'élimination de la famille qui est bien trop vite expédié, sans qu'on profite des meurtres.

Bref, c'est bien dommage, ça aurait pu être un film génial.

Fatpooper
6
Écrit par

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le 12 janv. 2024

Critique lue 194 fois

7 j'aime

Fatpooper

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