Western arancini
Je viens d'un pays, amico, t'as pas idée, et vaut mieux pas que t'essayes de t'imaginer. On te demande pas de comprendre, ça t'en es pas capable ; tout ce qu'on te demande, c'est de te taire. Comme...
le 3 mai 2020
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Je viens d'un pays, amico, t'as pas idée, et vaut mieux pas que t'essayes de t'imaginer. On te demande pas de comprendre, ça t'en es pas capable ; tout ce qu'on te demande, c'est de te taire. Comme nous tous ici. Et c'est l'ordre des choses.
Dans mon pays, l'omertà plombe d'un silence lourd nos vallées torturées, interrompu par les chants des marranzanu et les coups de feu. Qui s'en plaint ? Certainement pas nous. Avec une terre pareille, comment ne pas être ce que l'on est ? Nous sommes durs et burinés comme nos montagnes arides qu'ont malmené les guerres et le vent.
Dans mon pays les rues, la nuit, même les chats en ont peur. Des silhouettes silencieuses se baladent en bande, anguleuses comme les architectures qu'elles semblent combler. Chacune à six mètres de l'autre - car l'espace ne manque pas ici-, chacune occupant un poste invisible, un recoin défini par une logique qui dépasse l'entendement. Réunies, elles sont un tsunami auquel nul angle de tir n'échappe. Cartographes archaïques d'une stratégie militaire qui échappe à toute école, si la rue est leur poche, la montagne, elle, est leur paume. Et le jour, crains la campagne comme tu crains la rue, la nuit. Crains-les le jour et crains leur terre, car elle est leur héritage le plus cher : ils la connaissent mieux que quiconque sur cette roche qu'on nomme île où le temps est en suspens.
Turiddu, c'est nous tous et c'est chacun. Derrière chaque nuque bronzée, chaque toison noire gominée, chaque corps jeune et brut fusil à l'épaule, il y a un Turiddu. Derrière chaque Turiddu, il y a une mère, et derrière elle, il n'y a rien, sinon un patrimoine de feu et de sang, de vieilles histoires de féodalismes, une éternité d'esclavage. Alors tu vois, on n'a rien à perdre sinon notre honneur. Et il est plus cher que tous les lingots, mais ça, tu ne peux pas comprendre non plus.
Mon pays, enfin, aucun système politique ne l'encadrera jamais. Que veux-tu ? Nous sommes au-dessus des lois. D'aucuns diront que notre fierté a la démesure de ce vaste paysage. C'est vrai. Et ici - c'est ainsi - les bienfaiteurs ont des relents de fascisme, quand ils servent une démocratie qui nous est aussi étrangère que vos figures rondes et pâles où luisent vos capitaux. Et n'oublie pas qu'ici, sur notre terre infortunée, ceux qu'on dit "honorables" sont les plus disgraziati.
Alors tu ne t'étonneras pas, carino, si je te clame haut et fort, mon canon entre tes yeux, qu'aussi loin que ma terre fût corrompue et qu'aussi longtemps qu'elle le restera, tous mes actes hors-la-loi seront légitimes, tous mes juges seront des assassins et toutes mes victimes des épreuves de la fatalité ; et l'ordre du monde jamais ne sera ébranlé, pour des siècles encore, sur ma terre qui est ainsi :
la Sicile !
[détonation emportée par le vent et couinement lointain d'une guimbarde]
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le 3 mai 2020
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