Rêche
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le 23 janv. 2023
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"Piangerai, come pioggia tu piangerai, e te ne andrai, come le foglie col vento d’autunno triste, tu te ne andrai, certa che mai ti perdonerai"
Tu pleureras, comme de la pluie tu pleureras, et tu t'en iras, comme les feuilles avec le triste vent d'automne, tu t'en iras, certaine que tu ne te pardonneras jamais.
Salvo, quelle claque... Je l'ai vu avec ma classe d'italien au cinéma en octobre dernier. Le prof nous annonce dépité que le film sera en sicilien et non en italien, et que ce n'est pas le film prévu à l'origine. Il est énervé. Alors on rentre, chahutant, on s'assoit dans une salle minuscule d'une soixantaine de sièges, les vêtements des élèves puent la clope froide, on attend encore et encore, problème technique, et puis, enfin, ça commence.
En Sicile, Salvo est un tueur à gages au service de la mafia. Il sauve son parrain d'un guet-apens meurtrier, qui lui ordonne de tuer l'organisateur de l'embuscade. Salvo se rend dans la maison du commanditaire, et y trouve Rita, la soeur de l'homme qu'il doit assassiner. Elle est aveugle. Elle écoute en boucle la même chanson, entourée de ventilateurs, la peau brillante de sueur dans la chaleur de Palerme. Salvo l'observe, il ne dit rien, subjugué. Il finit par tuer enfin le frère, mais on ne voit rien, tout n'est qu'un sublime hors-champ, augmentant la pression. Tout est tendu, et alors qu'il devait la liquider, Salvo est incapable de la tuer. Il la saisit, elle se défend, mais en posant ses mains ensanglantées sur le visage de la jeune aveugle, elle retrouve la vue. Il la cache alors dans une usine désaffectée, déchiré entre la mafia, la police, et cette jeune femme qui le bouscule intérieurement.
Le film est lent, les rares scènes d'actions brutales, le paysage caniculaire. Les dialogues sont rares, et pourtant... Je ne sais pas vraiment comment expliquer à quel point ce film m'a touchée. Quand j'en suis sortie, je l'ai décrié, comme les autres, mais, en y réfléchissant, je me suis souvenue que je n'avais pas pu détacher les yeux de l'écran, fascinée, devant la dureté dont Salvo fait preuve envers Rita et pourtant le désir, ou plutôt l'affection, ou du moins les sentiments à fleur de peau, les hurlements de celle-ci, comment elle se débat entre ses bras, l'ultime moment de tendresse interdite entre eux... J'en suis sortie bouleversée.
Je ne prétends pas que c'est le film le plus incroyable que j'ai vu, mais il m'a réellement touchée dans le sens où, avec si peu de dialogue, et si peu d'action, j'ai retenu ma respiration pendant une heure quarante-huit, les nerfs à vif. Et cette musique, cette unique musique, "Arriverà" de Modà, en boucle, et en boucle, dont est exclusivement composée la bande-son, qui devient un thème cyclique obsédant...
Le sicilien et l'italien restent deux langues très proches, la VO est splendide, même si, je vous l'accorde, il y a très peu de dialogue. Je suis habituée à ne regarder presque que des films en anglais, et cette coupure sicilienne m'a émerveillée. Mais ces longs silences, ponctués par le crissement des pas sur le gravier, le vent, les sauterelles et autres criquets, la respiration, ne font que rendre plus vive la tension entre les personnages principaux, le masque impassible de Salvo qui pourtant semble meurtri, les yeux pleins de reproches et pourtant en quelque sorte reconnaissants de Rita. "Le silence est le cri le plus puissant". Bel oxymore je l'admets, mais plutôt vrai.
En conclusion, ne passez pas à côté de Salvo, ne vous laissez pas décontenancer par la lenteur, elle ne fait que rendre plus magnifiques les regards des personnages. Vous ne pourrez que aimer ou détester, je pense, il n'y a pas de juste milieu dans ce genre de film. Mais ne partez pas sur les a priori. Dites-vous juste que, loin des clichés d'amour hollywoodiens, c'est une histoire d'amour insensée qui prend place dans un environnement mafieux et caniculaire, dans une atmosphère tendue où la pression atteint son paroxysme.
"Arriverà, la mia pelle, a curar le tue voglie."
Elle y arrivera, ma peau, à soigner tes envies.
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Créée
le 7 juil. 2014
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