C’est très intéressant de découvrir Samia aujourd’hui, après le succès de Fatima, dans la mesure où Philippe Faucon n’a manifestement pas changé de façon de faire sinon qu’il a opté pour un autre personnage d’ancrage. Il est aussi question d’une famille d’origine algérienne et des rapports électriques hérités du fossé culturel et générationnel. On se souvient que chez Fatima, l’une de ses filles plantait sa scolarité quand l’autre entamait une école de médecine. Dans Samia, il s’agit aussi essentiellement d’un monde de filles puisque Samia, 16 ans, sixième de la fratrie, a trois grandes sœurs et deux plus petites.
Ce qui à première vue a changé c’est la direction qu’offre le titre. Fatima c’est la maman, Samia c’est la fille. Philippe Faucon ne travaille pas exclusivement le portrait pur, donc il peut suivre l’une des filles de Fatima comme ici quitter parfois Samia pour Amel ou Farida, ses sœurs. C’est justement ce glissement qui est très beau et extirpe le film d’une certaine rudesse. On pourrait aussi dire qu’il l’universalise, voire le normalise, c’est vrai et c’est là où le cinéma de Faucon et celui de Kechiche sont entièrement dissemblables : Chez l’un on plonge jusqu’à la cassure, physique et littérale (L’esquive, par exemple) tandis que chez l’autre le mélodrame est aéré, la ligne claire parfois désactivée pour pouvoir la reprendre. On est plus proche de Guédiguian, en un sens. Et on y pense aussi puisque Samia se déroule à Marseille et on y retrouve un peu ce qu’avait capté La ville tranquille ou plus récemment, Khamsa, de Karim Dridi.
Philippe Faucon ne va appuyer sur aucun élément réaliste pour le traduire en surplus dramatique : Quand Samia échange des insultes avec une bande de fachos ou quand Yacine assiste à une arrestation par des CRS, il ne se passe rien de plus que ces faits. Ce qui est très beau dans Samia c’est de voir que l’auteur s’intéresse aux fissures de l’intérieur, aux griffes masculines qui s’emparent du quotidien des femmes. Faucon distingue trois portraits d’homme : le père, malade, qui n’existe plus qu’au travers de ses deux fils. Le plus jeune, réservé, ne prend ni vraiment le parti des filles, ni celui de sa mère, ni celui de son frère, il est un électron libre loin des coutumes. L’ainé, lui, semble avoir récupéré la figure paternel traditionnaliste à son point de domination le plus abject. Il n’existe d’ailleurs qu’à travers ce pouvoir puisqu’il ne fait rien de ses journées, regarde la télé, mange les plats que sa mère lui prépare, s’habille de vêtements pliés et rangés par ses sœurs, qu’il suit à longueur de temps.
Une figure du mal (Vulgaire, aboyeur, violent) patriarcale, plus pathétique que dangereuse tant il est couvert par une mère qui, sans cesse, regrette de ne pas avoir eu plus de garçons que de filles. Car les filles tentent chacune à leur manière un embryon d’indépendance : La fuite du foyer pour la plus grande, les études longues pour la suivante, le refus des règles pour Samia, l’insolence adolescente de Naima. Une sorte de Mustang avant l’heure, moins canalisé dans son dispositif puisque l’écart d’âge entre les sœurs est bien trop important. C’est donc un très beau film, qui parvient à trouver des instants de grâce et de détachement (une balade dans les calanques, un concert en plein air, une fête de famille) dispersés dans une montagne de conflits.