Samouraï fait penser à de nombreux films de l'époque. Le personnage principal (Toshiro Mifune) rappelle Sanjuro, un samouraï sans maître, alcoolique, décadent et pauvre (ce qui l'oblige à salir son kimono dans la boue pour aller dans son taudis) attendant son heure de gloire (présenté d'ailleurs exactement de la même manière : d'abord, le groupe, ensuite lui, au coin, à l'écart). Puis le script visant à décapiter (au sens propre et figuré) la tête du pouvoir, la tonalité sombre et nihiliste, ainsi que l'aspect brouillon et plein de rage des combats semblent faire allusion aux 13 tueurs. Enfin, la structure de l'histoire reprend assez brillamment le style de Harakiri, procédant par l'alternance de grands flash-backs visant à déterminer l'identité d'un samouraï, qui est soupçonné de trahison. L'intrigue est très bavarde, usant (surtout au début) d'une large intervention de la voix-off nous présentant les événements, que nous identifierons plus tard à celle du scribe du groupe d'attentat. Ce mode du récit est important aussi pour la rôle de l'Histoire : cette fois-ci, ce n'est pas le gouvernement politique, mais les rebelles, futurs vainqueurs, qui veulent la contrôler jusqu'à en éliminer les détails gênants. Ce point de vue, bien que parfois plombant et trop explicatif dans sa forme, nous permet de jamais nous perdre dans ce récit touffu, et procure à ce dernier une force prodigieuse, dépassant le simple destin d'un individu.
L'histoire est riche, dense, et traite de nombreux thèmes. A ma connaissance, Okamato est le seul (avec Kobayashi) à aussi bien présenter les samouraïs, ainsi que l'homme qui s'y trouve derrière. Ainsi la mission d'attentat, apparemment simple, prend une autre ampleur lorsque le groupe commanditaire enquête sur la possibilité d'un traître. L'enquête est passionnante. Deux hommes sont suspectés, aux principes radicalement opposés, et pourtant amis par la voie du sabre : un défi de dojo a révélé, par leur style, une sincérité qui les a immédiatement liés. Cependant, l'histoire est tout de même centrée autour du ronin interprété par Mifune, au passé très complexe. L'intérêt des deux séries de flash-backs est de nous révéler une partie différente de sa personnalité. Le premier insiste sur son réalisme (il est totalement au courant des enjeux politiques), son pragmatisme (ce qui l'intéresse, c'est l'argent), et son talent de sabreur. Bref, un samouraï qui a la tête bien sur les épaules malgré son apparence négligée, comme le Sanjuro de Kurosawa.
Le second flash-back révèle par contre son humanité. D'abord à travers son amitié avec l'idéaliste, bien que ce dernier, qui participe aussi à l'attentat, affiche des motivations bien différentes, agissant non pas par ambition (il est riche), mais par idéalisme (pour réformer le pays). Ensuite, deux nouvelles pièces viennent agrémenter ce tableau d'un ronin plus touchant qu'à première vue. D'une part, ce dernier a été adopté. Il sait qu'il est issu d'une lignée noble, et que son père le reconnaîtra à condition qu'il devienne un samouraï, d'où le besoin d'accomplir cette mission, une aubaine pour lui. Une motivation plus digne que celle de l'argent qu'il avançait précédemment. Enfin, nous apprenons qu'il est tombé amoureux d'une femme qui ressemble trait pour trait à sa mère (une relation amoureuse qui ne tombe pas ainsi comme un cheveu sur la soupe, mais qui s'intègre parfaitement au reste). Bref, il possède un passé traumatique qui rend compréhensible son apparence patibulaire, masquant une humanité bien réelle.
Ensuite, le récit prend des allures d'une tragédie grecque lorsque le ronin est obligé de tuer deux individus, qui portent un coup fatal à son humanité pour des raisons bien différentes. L'un parce qu'il lui est cher, tandis qu'il lui serait absurde d'éliminer l'autre. La voie du sabre, et surtout son ambition personnelle, l'ont précipité vers une chute programmée. A un niveau plus large, la mort du ministre signe aussi celle des samouraïs, ce qui est paradoxal, connaissant l'enjeu du ronin. Le dénouement est vraiment magnifique, un summum d'absurdité qui sonne le glas de ce personnage, baignant dans une victoire euphorique mais complètement illusoire.
La facture de la réalisation est relativement classique et statique. Par contre, il y a de magnifiques combats sous la neige qui préfigurent, en moins bien, ceux du Sabre du mal, et un certain sens du cadrage est à noter. Puis le rythme est généralement bon pour un film de ce genre, par contre j'ai noté une baisse de régime dès lors que nous apprenons l'identité du père du ronin, 30 minutes environ avant la fin. Heureusement, le climax est largement à la hauteur, la meilleure scène du film selon moi. Enfin, le chef du ronin, potentiellement adversaire de ce dernier, a une bonne tête de faux-cul. Ses actions sont façonnées par les circonstances et non par la confiance mutuelle, donc capable d'éliminer tout individu qui se trouverait en travers de sa route.
En conclusion, bien que ce film n'atteigne pas encore le niveau formel du Sabre du mal, ou encore le rythme de Kill, Samouraï contient probablement l'histoire la plus riche et la plus travaillée des trois. Avec la qualité de ces films, Okamato peut trôner sans problème à côté de ses camarades Kurosawa et Kobayashi (puis un peu plus tard, Misumi et Gosha) dans le genre du chambara, les maîtres du genre à cette époque.
Un film de samouraïs qui recycle ou s'inspire brillamment de ce qui se faisait de meilleur à l'époque dans le genre, offrant un portrait à la fois pragmatique et humain d'un samouraï, sur fond de tragédie grecque. Un récit qui s'enrichit progressivement, malgré les enjeux de base apparemment simples. Et de nouveau, un Toshiro Mifune qui explose à l'écran.
(Critique rédigée en 2012)