Presque vingt ans après Baraka, Ron Fricke rempile avec la même équipe : Mark Magidson à la production et au montage, Michael Stearns à la musique, accompagné cette fois de Lisa Gerrard, qui après avoir concédé quelques titres de Dead Can Dance sur l’opus précédent, participe à la bande originale.
Le projet est rigoureusement identique, et semble simplement proposer de nouvelles images, toujours filmées en 70mm, sans donc céder aux sirènes du numérique qui auraient pu garantir des prises de vues d’une nouvelle définition. Un tournage sans scénario fait parcourir la planète à la recherche de plans d’exception, dans 25 pays différents, avant un long processus de montage où il s’agira de donner une dynamique d’ensemble à toute ce matériau.
Alors qu’on ressent clairement au visionnage la répétition d’une formule (jeux sur les accélérés et les ralentis, paysages grandioses, importance accordée aux rites religieux), le film ne présente paradoxalement pas une maitrise plus grande des expérimentations du précédent (et, a fortiori, de Koyaanisqatsi sur lequel Fricke était chef opérateur) : la structure est plus flottante, la compilation plus visible, et la course à l’esthétique semble davantage l’emporter sur le propos général : les time lapses sont plus élaborés (avec un appareil qui se déplace), plus longs aussi, et les plans d’ensemble plus vastes (comme ceux sur la Mecque, très impressionnants). La place accordée à certaines performances (déjà présentes dans Baraka, mais de façon beaucoup plus discrète) déplace de manière assez étonnante le propos, notamment lors d’une sorte de performance artistique déjantée et assez malsaine au cours de laquelle un homme se couvre le visage de glaise et y dessine un sourire et des yeux qui le font ressembler aux portraits torturés de Bacon.
C’est dans ces directions que l’on peut prendre la mesure des deux décennies passées : alors que la noirceur du précédent se voulait une réflexion plus générale et philosophique (la guerre, le Mal, la mort), Samsara ancre sa plainte dans des préoccupations bien plus contemporaines : la souffrance des travailleurs, l’industrie et le culte des armes, la question écologique (les cimetières de matériel informatique), la surconsommation, notamment dans ces plans assez éprouvants sur les grandes usines à viande qui font de la mise à mort une effrayante abstraction industrielle.
L’attention porté aux mouvements de foule et à leur synchronisation, comme le clip de la chorégraphie en prison, poursuivent ce regard en surplomb, cette fascination pour une harmonie qui subsiste ; même si, indubitablement, la douleur infuse davantage cette symphonie mondialisée.