Un drôle de western aux allures d’opérette. Entre vaches, poussière et cow-boys moustachus et colorés. C’est le technicolor de 1945 qui veut ça, les tons n’ont cependant rien de criard, plutôt pastellisés, assez joli, en tout cas décoratif au plus haut point. On voit tout de suite que la robe et les parures d’Alexis Smith sont assorties au scintillement bleu acier de ses yeux et la veste en peau d’Errol Flynn au brun de sa moustache. La musique de Max Steiner, entre viennoiseries et folklore américain, traduit les impressions visuelles.

Le scénario joue à fond la carte de l’archétype. Il y a le héros qui s'appelle Clay, justicier sans peur et sans reproche (Flynn), la blonde de music-hall tête d’affiche des théâtres de cambrousse, l’impresario immigré au parler comique et la matrone qui lui sert d’associée. Côté méchants, un patron de saloon crapuleux, voleur de bétail et rival d’Errol, et son associé joué par Victor Francen. Ce dernier est un personnage mielleux et raffiné, idéalement constitué pour incarner le traître retors et pervers. Il a un côté Baron de Charlus tex-mex qui colle à merveille avec l’ambiance opérette.

D’ailleurs on est complètement dedans lorsque la belle Alexis débarque au "Bella Union", le saloon du méchant. On a droit en tout à 2 numéros chantés, avec pour le premier un prélude comique avec cow-boy dansant en pantalon à pois. La 1ère chanson est "One Sunday Morning". Alexis y apparaît telle Grace de Monaco, la caméra la suit dans ses déplacements au milieu de l’assistance jusqu’au moment parlé, climax romantique où elle transmet à son public l’enchantement d’une rêverie champêtre et patriotique. A la fin du morceau on enchaîne avec un quatuor masculin, type Frères Jacques, qui reprend le refrain (Un dimanche matin, Ce sera, Un dimanche matin, Pour lui et moi…). On a alors l’étrange impression de naviguer dans un univers crypto-gay véhiculé par le film d’une façon totalement inconsciente. La même séquence est encadrée par deux images qui en rajoutent une couche dans la fantaisie subliminale : un perroquet qui dit "Howdy" avec l’accent du sud et un chat ivrogne qui boit le whisky du patron (pendant ce temps les Frères Jacques continuent de chanter en agitant leurs chapeaux au dessus de leur tête : Un dimanche matin, Nous entrerons dans l’Eglise, Il sera nerveux, et J’essaierai de sourire…).

Après ça le film essaie de retrouver un peu de virilité en proposant un gunfight entre le héros et le méchant, mais la scène ayant lieu sur le balcon de la loge on a quand même droit auparavant aux viennoiseries de Max qui se lâche sur le thème de "One Sunday Morning". Il y a plein de fleurs : sur la robe d’Alexis, partout dans la loge et un petit bouquet d’églantines apporté par Errol. Le reste continue sur cette belle lancée : il y aura vengeance du héros, fête mexicaine, poursuite de l’impresario par un mignon petit macaque et d’autres péripéties mélo-comico-dramatiques que je ne dévoile pas. Le second morceau, roucoulade hispanisante, permet de retrouver les Frères Jacques qui accompagnent Alexis en sifflotant. On entend alors ce commentaire du héros : "Il fut un moment où cette fille aurait pu tout arranger à elle toute seule" et on se dit qu’Errol voulait sans doute exprimer par là son regret de ne pas savoir chanter, ce qui nous aurait permis d'avoir notre opérette.

Cela marque aussi le retour de l’action pour le film qui s’achève de fort belle manière dans les ruines d’El Alamo. Les balles fusent, c’est la nuit et il y a des feux qui projettent des ombres au milieu du décor. Les couleurs sont chouettes, c’est très bien mené et Max a retrouvé toute sa nervosité. En conclusion, ce film qui ne payait pas de mine est une belle surprise. En dépit de tout ce que l’on pensait rédhibitoire en matière de western, on finit par lâcher ses ultimes réserves et oser même le recommander : si vous êtes morose, morne ou constipé, si vous êtes sinistre, étriqué et rigide, cette œuvre baroque, polychrome et musicale saura (si Dieu le veut) vous rendre gai.
Artobal
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le 12 août 2014

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