Idiot, mais riche
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le 17 oct. 2022
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Ce film est super, d'abord parce qu'il effectue un geste politique rare et courageux actuellement. Il rappelle au spectateur que les classes sociales sont toujours d'actualité et met à mal le discours néo libéral ambiant. En effet, le yacht est pour moi le miroir de notre société, ce qui rappelle un peu Le cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein. Il faudra que le yacht soit attaqué et que les rescapés se retrouvent sur une île déserte pour que la personne en charge des WC, Abigail (Dolly de Leon), puisse s'auto-proclamer capitaine du navire. C'est une belle métaphore de la difficulté d'ascension sociale de nos jours. Pendant que les ultra-riches profitent de leur croisière de luxe, les nombreux employés s'affairent sans cesse pour satisfaire absolument tous leurs désirs, aussi absurdes soient-ils. Ainsi, une femme s'adresse au capitaine (Woody Harrelson) à 2 reprises pour signaler que les voiles du navire sont sales. Or il se trouve que les voiles n'existent pas parce qu'on est sur un yacht. Elle indique ensuite que sur la brochure elle a vu des "voiles d'un blanc immaculé". Face à l'absurdité de la situation, le capitaine et son second (Arvin Kananian) lui promettent qu'ils vont nettoyer les voiles. Les ultra-riches vivent dans leur monde, complètement déconnectés de la réalité. Une autre cliente russe oblige tout le personnel à faire du toboggan, quitte à retarder le dîner pour tout le monde.
Un autre point commun (dans une moindre mesure puisqu'on connait plus le caractère des personnages ici mais quand même) avec Le cuirassé Potemkine, c'est de présenter un personnage par sa fonction avant de dépeindre ce qui le caractérise psychologiquement. C'est une approche sociologique du cinéma, qui permet de sortir du paradigme actuel dans l'art de vouloir absolument tout psychologiser. Je n'ai rien contre la psychologie, mais il est possible d'aborder d'autres angles de vue par rapport à une situation, comme le montre également Steven Soderbergh dans Logan Lucky (2017).
Sur l'île, les rapports de force s'inversent. Les ultra-riches ne savent rien faire de leurs mains, ce sont des parasites, ils ne servent à rien comme souvent dans les grosses entreprises. Abigail, tout en bas de l'échelle sociale sur le yacht, se retrouve ici au sommet grâce à ses compétences. Elle est la seule à savoir pêcher, faire du feu, cuire les aliments etc. Alors que la nourriture est rare, et qu'Abigail tient à ce qu'elle soit répartie démocratiquement, Carl (Harris Dickinson) et Nelson (Jean-Christophe Folly) volent un paquet de bretzels, ce qui entraine une sanction. Même quand il n'y a presque rien à voler, ils trouvent moyen de le faire. Cela renvoie au fait selon moi que la richesse des ultra-riches vient souvent d'un héritage et pas de leur travail (exemple de la situation en France: https://linsoumission.fr/2022/12/16/80-milliardaires-sont-des-fils-a-papa/#:~:text=La%20fortune%20des%20milliardaires%20fran%C3%A7ais,on%20excepte%20la%20Chine%20continentale.)
Le film n'est pas niais, le propos n'est pas de dire "regardez les riches ils sont méchants, les pauvres sont gentils". Il interroge la manière dont se comporte un corps social ou une personne dès lors qu'il domine. Ainsi, dès lors qu'elle se retrouve à la tête du groupe sur l'île, Abigail se sert de son pouvoir pour faire de Carl son esclave sexuel, ce qui est encore une fois intéressant à étudier. Il semble que Carl agisse sous la contrainte, si c'est le cas il s'agit de viols répétés, et dans le même temps cela nous rappelle qu'en temps normal, ce serait peut-être peu probable qu'une responsable des WC sur un yacht couche avec Carl, mannequin qui vient de participer à la Fashion Week. Les corps sont aussi sujets à des rapports de force et des rapports sociaux.
PS: R.I.P Charlbi Dean, belle interprétation de Yaya
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Créée
le 29 févr. 2024
Critique lue 12 fois
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