En introduction à Sans Soleil, Marker dit que le Japon de l'époque Heian a inventé une nouvelle forme de poésie, jouant, non pas sur la beauté de l'image, mais sur l'existence de l'image elle même. Mais peut être que Marker le dit en plein milieu du film. Ou a la fin. Je ne sais plus. J'ai oublié d'enregistrer. J'ai oublié de retranscrire la réalité, de figer ma mémoire. Et il y a eu une fracture dans le temps, entre la pensée que dévoile la voix monocorde qui commente les images, et ma mémoire, qui ne se souvient que de ce dont elle veut bien se souvenir.
Du coup, Marker joue avec notre oubli, en même temps qu'il commente une civilisation qui s'oublie peu à peu elle même. On ne se souvient pas du début. Marker nous le rappelle. On ne se souvient pas du milieu, juste de quelques images, de quelques phrases éparses, déconnectées de tout. Pourtant, tout est connecté. La pensée ne se perd jamais dans les méandres d'un inconscient tumultueux. Mais il n'en reste rien, juste un vague souvenir d'un début, de l'image de trois jeunes filles islandaises représentant le bonheur. A moins que ce ne fut le néant.
Marker nous emmène avec lui dans un voyage à travers une belle civilisation, et d'autres, parasites, qui lui donnent du sens. Sens qui se perd. Ensoleillement que la parole donne aux images, et pourtant qui s'embrume au fur et à mesure. Sans Soleil. Ne reste que le souvenir d'un merveilleux voyage, d'un instant poétique, où l'on a cessé de regarder l'image, pour ne regarder que ce qu'il y a derrière elle. Sans penser au passé ni au présent. Car l'image d'après chasse la précédente, seul subsiste la poésie. Poésie inventée au Japon, je ne l'ai pas déjà dit?
Dans ce beau poème, Marker évoque l'image d'un Japon, qui comme nous, a brisé sa mémoire. Qui se cherche, dans les jeux vidéos. Mais qui ne se retrouve pas, car on a violé sa mémoire. On a colonisé le Japon. On a brisé le lien qui existe entre le Japonais et son sexe. Il ne peut plus que l'exhiber dans des musées, sous forme de statue, sans se souvenir de sa signification. Juste un immense membre, essayant de rappeler un passé perdu. Mais ce n'est pas le sexe qui a été perdu, car il est représenté. C'est le lien qui a été perdu, un muscle, une articulation, peut être même seulement une veine. Ne reste que les japonais, cherchant dans les blessures animales ce qu'ils ont perdu un jour. Mais de leur perte, on ne se souvient que de la date.
Un film unique, sur la fracture du temps et de la mémoire, sur la poésie perdue d'une culture qui ne subsiste que dans quelques images. Celles de Marker.
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