Le cinéma féminin indien a brillé à Cannes cette année. Avant la sortie du primé All we imagine as light de Payal Kapadia en octobre, Santosh de Sandhya Suri, présenté dans la Section Un certain Regard, partage un certain nombre de similitudes, notamment dans le fait que les deux cinéastes viennent du documentaire. Si la première offrira un regard assez poétique et lumineux sur le parcours de plusieurs femmes, Suri propose une cartographie bien plus sombre des réalités du pays.
Le récit suit le parcours d’une femme qui hérite, comme la loi le permet, du poste de son mari à la mort de ce dernier, et se retrouve propulsée policière du jour au lendemain. Un parcours initiatique en trois temps, qui n’épargne pas quelques longueurs dans son exposition, mais se rive au point de vue de l’apprentie, d’abord en observation sur les injustices sociales entre castes ou la misogynie généralisée. La seconde période, bien plus intéressante, ébauche un récit d’émancipation durant lequel Santosh se rapproche de sa supérieure Sharma, qui reconnaît en elle une alliée et une disciple, capable d’équilibrer les forces au sein d’une police laissant évidemment peu de place aux femmes.
L’approche naturaliste – lumières naturelles désaturées, caméra à l’épaule, absence de musique extradiégétique – reprend tous les codes du documentaire, mis un temps de côté par les possibilités presque fantasmatiques d’une fiction où la justice serait rendue par la sensibilité et l’humanisme de femmes enfin propulsée à des postes à responsabilité.
C’est là que le film prend véritablement son envol : la figure d’abord charismatique de Sharma s’enrichit progressivement d’ambiguïtés croissantes, et contribue à un tableau sans fard du rapport au pouvoir, à la loi et à la justice dans un milieu gangrené par la corruption. L’idée forte consiste à ne jamais basculer dans le manichéisme, la figure du mentor restant toujours dans une posture qui n’abandonne pas certains idéaux (de justice, de féminisme) mais les noie dans une compromission insoutenable. Le code du polar, largement convoqué, reste toujours en sourdine dans une enquête finalement linéaire, une course poursuite d’une très belle tension, et dénuée à dessein de tout paroxysme : car dans cette illusoire quête de la vérité, c’est surtout le terrible immobilisme de l’injustice qui sera mis au jour.