La filmographie de Lon Chaney, le long d'une trajectoire s'étalant à travers les années 1910 et 1920, avec la consécration du biopic L'Homme aux mille visages de Joseph Pevney retraçant sa carrière en 1957, semble structurer de manière solide tout un pan du cinéma muet tourné vers le thriller et le difforme. Dans Satan (The Penalty) il établit avec force et effroi un rôle qui caractérise son style avec vigueur, quelque part entre l'interprétation très physique et la manifestation d'une âme diabolique. Dans le prolongement de The Miracle Man, il incarne un homme devenu très jeune cul-de-jatte suite à l'inexpérience d'un chirurgien qui l'amputa par erreur des deux jambes (rien que ça), suscitant un choc psychologique tel que sa folie le propulsera au sommet de la pyramide de la pègre locale.
Bon, le scénario comporte quelques zones d'écriture assez grotesques vues d'aujourd'hui, mais à l'échelle du cinéma muet Chaney parvient à composer un rôle de méchant terrifiant et convaincant, le fameux criminel se faisant appeler Blizzard. Un cerveau malfaisant qui rivalise d'ingéniosité pour tisser les mailles d'un réseau de gangsters, comme un avant-consistant de celui qui entourera les différents épisodes du diabolique docteur Mabuse chez Fritz Lang dans les années 20, 30 et 60. Son dossier est quand même très chargé : non seulement il se fait amputer des membres inférieurs pa erreur à l'adolescence, mais en plus il projette de se venger en volant à ce chirurgien incompétent sa femme et... ses jambes, en planifiant de se les faire greffer.
Lon Chaney a vraiment la gueule parfaitement adéquate pour le rôle, au point de servir de modèle à une artiste désirant créer un buste de Satan. Il flotte dans l'atelier de la femme une atmosphère lourde, chargée de tension sexuelle et de terreur mêlées. À ses talents de maquilleur et de costumier, il faut donc ajouter un talent de contorsionniste quand on voit le rôle d'amputé dans lequel il se projette avec force — on imagine la difficulté de nombreuses scènes, avec ses jambes rabattues contre ses cuisses. Sans doute que la douleur qu'il s'infligeait aidait à composer un rôle de grand méchant encore plus hargneux, gorgé de rancune et profondément dégoûté de l'espèce humaine... La dernière bobine est malheureusement la plus ratée, avec un (presque) happy end forcé et baignant dans une morale désobligeante : s'il était méchant, c'est entièrement à cause d'une tumeur au cerveau qu'on lui a retirée (dans son sommeil, au lieu de la greffe de jambes), et il se transforme d'un coup en prince charmant doux et gentil. Mais toute l'imagerie diabolique qui entoure le protagoniste, ces passages secrets actionnés par d'ingénieux mécanismes ou ces rampes d'accès vers des pièces cachées, renverse clairement la balance.
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