Sur l’« entre-temps » au cinéma, il est naturel de penser immédiatement à des films aux temporalités oniriques. Cette coïncidence thématique est une forme de facilité théorique à laquelle je me suis presque interdit de succomber. La raison principale de ce rapprochement s’explique aisément : il est, aujourd’hui, de plus en plus dur pour certains d’apprécier la contemplation d’un Andreï Tarkovski, la langueur d’un Tsai Ming-Liang ou la rudesse d’un Lisandro Alonso. C’est que le cinéma, et peut-être même tout régime d’image actuel, ne nous habitue plus à cette altérité temporelle. Mais là n’est pas réellement mon propos (qui est en vérité aussi vrai que convenu) : l’idée est de ne pas confondre l’entre-temps, qui est un mouvement suspendu dans la continuité du film, avec un temps dépouillé de toute tension ; d’en démontrer les nuances qui font toute la différence. Car il peut sembler facile de confondre ces deux formes de temporalités, au fond assez poreuses en terme de ressenti. Disons que l’entre-temps dans ces films à valeur d’événements à l’image, comme une forme de suspension rêveuse. Toutefois, cette affirmation est vide de sens sans exemples précis.
Le cinéma de Béla Tarr est un point de départ assez explicite et qui, pourtant, semble assez peu se prêter à l’entre-temps. On retient différents stylèmes chez lui : l’usage du noir et blanc, des longs plans-séquences et la narration épurée de ses films (comme Le Cheval de Turin, pinacle de ce que le cinéaste peut faire en matière de minimalisme). On sait depuis André Bazin que la figure du plan-séquence est reliée à celle d’un réalisme ou, du moins, à la représentation de la réalité. Et il est vrai que chez Tarr les séquences, presque toutes en un plan, construisent une sorte d’univers qui est en écho direct à la situation politique et géographique d’une zone. Mais s’il s’agit bien de la Hongrie, les espaces présentés par Béla Tarr ont toujours une singularité qui ne permet aucun particularisme. De plus, la manière d’y aborder le temps est souvent de manière apathique : il est souvent question dans son cinéma de personnages souhaitant partir mais qui ne le font pas, restant alors soit dans l’attente, dans une forme d’enchantement (comme Janos dans Les Harmonies de Werckmeister) ou alors en sombrant dans la folie. Néanmoins, au milieu de ce sombre marasme, il y a toujours des formes d’éclaircies temporelles. [...]
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